Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a réclamé des mandats d’arrêt contre le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, son ministre de la Défense, Yoav Gallant, et des dirigeants du Hamas pour des crimes de guerre. Deux chercheurs expliquent les implications géopolitiques de cette décision.

Qu’est-ce que ça change ?

Pour l’instant, rien ne change officiellement, puisque la procédure n’en est qu’au stade de la requête. « Ce sont les juges de la Cour pénale internationale qui décident d’émettre des mandats », explique François LaRochelle, ancien diplomate et fellow à l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM), affilié à l’Université du Québec à Montréal. Pour l’instant, les magistrats n’ont pas encore pris cette décision.

En revanche, si des mandats étaient bel et bien lancés contre Benyamin Nétanyahou, Yoav Gallant et des dirigeants du Hamas, ceux-ci verraient notamment fondre leur liberté de déplacement.

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Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et son ministre de la Défense, Yoav Gallant, en octobre dernier

Comme l’explique M. LaRochelle, en principe, si une personne visée par un mandat de la Cour se trouve dans un pays membre, ce pays doit l’arrêter. Ses déplacements seraient ainsi grandement affectés. Selon l’ancien diplomate, il est évident « que l’impact serait beaucoup plus sérieux pour Nétanyahou » que pour les dirigeants du Hamas visés par la même requête, qui se dissimulent pour la plupart dans la bande de Gaza. « Je n’ai pas l’impression qu’ils avaient beaucoup de projets de visite », dit-il.

Quant à M. Nétanyahou, qui a réagi par voie de communiqué, il a « rejeté avec dégoût la comparaison du procureur de La Haye entre Israël […] et les meurtriers de masse du Hamas ».

Quels en sont les impacts politiques ?

S’il n’y a pas de conséquences juridiques pour l’instant (puisque les juges n’ont pas encore lancé de mandats), les conséquences politiques, elles, pourraient être importantes pour le premier ministre israélien, selon les deux chercheurs.

À l’intérieur des frontières d’Israël, cette requête de mandat d’arrêt « risque de donner des munitions » aux adversaires politiques de Benyamin Nétanyahou, notamment Benny Gantz, selon François Audet. Ancien général devenu chef du parti de centre Hosen L’Yisrael, M. Gantz – qui n’est pas visé par la requête, même s’il fait partie du cabinet de guerre israélien – a menacé de démissionner il y a quelques jours si Benyamin Nétanyahou ne proposait pas un nouveau plan pour mettre fin à la guerre dans la bande de Gaza.

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Benny Gantz, adversaire politique de Benyamin Nétanyahou

François LaRochelle pense que la gravité des accusations pourrait aussi faire son bout de chemin dans la tête du premier ministre israélien. « Peut-être que ça pourrait faire réfléchir Nétanyahou et son ministre de la Défense pour la suite des choses, particulièrement à Rafah. »

L’ancien diplomate argue cependant que le sentiment d’« unité nationale » pourrait limiter les dégâts dans l’immédiat, alors que de nombreux otages sont toujours prisonniers du Hamas dans la bande de Gaza – un enjeu central dans le paysage politique israélien des derniers mois.

Comment réagit la communauté internationale ?

Rapidement, le président des États-Unis, Joe Biden, s’est insurgé contre la démarche du procureur de la CPI, la qualifiant de « scandaleuse ». Son secrétaire d’État, Antony Blinken, parle plutôt d’une « honte ». Les États-Unis ne sont cependant pas membres de la CPI, à l’instar d’Israël, de la Russie et de la Chine, entre autres.

La réaction est cependant plus modérée dans les pays membres de la CPI. « Ça coince tous les États qui soutiennent Israël », et plus particulièrement ceux qui sont signataires, selon M. Audet. François LaRochelle pense d’ailleurs que le gouvernement canadien « va être obligé de ménager la chèvre et le chou », devant jongler avec son soutien historique à Israël et son engagement envers le respect du droit international.

La France, quant à elle, a exprimé son soutien à la Cour pénale internationale, « à son indépendance et à la lutte contre l’impunité dans toutes les situations ».

Y a-t-il des conséquences immédiates ?

Pour François Audet, cette requête, qu’elle se concrétise ou non, porte un « coup dur » à la légitimité de Benyamin Nétanyahou, surtout dans « les pays qui ne savaient pas encore sur quel pied danser » par rapport à la guerre entre Israël et le Hamas. Selon lui, cette procédure place carrément Benyamin Nétanyahou – désormais un « paria de la justice internationale » – sur une « liste noire ».

Le directeur de l’IEIM croit aussi que cette requête risque d’être un problème pour la réputation internationale de l’État hébreu en général, et plus particulièrement pour son caractère démocratique.

Il explique que la CPI a été mise en place « pour soutenir les États et les pays qui n’ont pas de justice domestique suffisamment solide ou indépendante » pour traduire en justice des criminels de guerre, par exemple.

« Est-ce qu’Israël n’est pas un peu en train de perdre ses lauriers de pays démocratique ? Si la CPI fait ça, c’est peut-être qu’Israël n’a pas toute la neutralité et l’impartialité dans son système judiciaire. »