La vérité ? J’ai honte de voir ainsi tomber les femmes comme des mouches.

On devrait pouvoir faire mieux. Faire plus. Et encore davantage lorsqu’on aura l’impression d’avoir tout essayé.

En date du 27 février, six femmes ont été assassinées en cette année 2024 au Québec, dont quatre en contexte conjugal.

Six.

Elles avaient des enfants, des familles, des amis, des collègues. Cinq d’entre elles ont été tuées à l’arme blanche. Une était enceinte.

Ce n’est pas nous qui tenions les couteaux, nous ne sommes pas responsables de leur mort, mais une question s’impose : a-t-on vraiment tout fait pour les protéger ?

Nous sommes six ans après #metoo. Le temps où la violence faite aux femmes et aux enfants était au goût du jour serait-il déjà révolu ? Où est passé notre projet collectif de la contrer ? Sinon, comment expliquer qu’on assiste à un retour des « elle l’a provoqué, elle a couru après » à peine voilés sur les réseaux sociaux ? Qu’un nombre alarmant d’adolescents adhèrent à des discours masculinistes, allant jusqu’à jouir du retour des femmes aux fourneaux, femmes qui méritent à leur avis d’être agressées sexuellement entre deux cuissons de tarte ?

Pouvons-nous regarder les enfants de ces femmes et de toutes celles tuées au cours des dernières années dans les yeux et leur assurer que nous avons tout fait pour bâtir une société où la violence ne peut s’inviter aussi facilement et insidieusement dans nos chaumières ?

L’accès au logement, aux garderies, les mesures pour contrer les inégalités sociales et économiques, l’éducation à la sexualité et aux relations saines et égalitaires, l’aide aux hommes en difficultés conjugales ou comportementales font partie des solutions.

Il existe aussi des outils législatifs qui dorment dans les cartons. La « loi de Clare » a été adoptée au Royaume-Uni en 2014 à la suite d’une lutte menée par la famille endeuillée de Clare Wood. La mère de famille de 36 ans a été assassinée en 2009 par un partenaire que les policiers savaient violent.

Cette loi permet aux forces de l’ordre de divulguer les antécédents criminels ou les signalements antérieurs en matière de violence conjugale.

Parce que dans un nombre aberrant de cas, devinez quoi ? Le meurtrier avait levé la main ou exercé du contrôle coercitif sur ses conjointes précédentes. Au Canada, Terre-Neuve-et-Labrador, l’Alberta, le Manitoba et la Saskatchewan ont décidé de se doter de cet outil, et l’Ontario étudie actuellement l’option, au nom ne serait-ce que d’une seule vie sauvée. Le gros bon sens.

Au Québec ? On semble estimer à ce jour que ce n’est pas nécessaire. Pourtant, considérer son adoption figurait à la recommandation 106 du rapport Rebâtir la confiance du comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale. Et dans le rapport du Comité permanent de la condition féminine. Ainsi que dans celui du comité multidisciplinaire de l’Université McGill ayant mené 18 mois de recherche en matière de réforme du droit au Québec pour les victimes de violence conjugale…

En coulisses, depuis la parution de la balado Maman, arrête de mourir : survivre aux féminicides, des policiers des quatre coins de la province m’ont confié rêver de pouvoir mettre en garde les femmes qu’ils savent à risque. Certains n’en dorment pas la nuit.

Ils sont les gardiens d’une information qui aurait le potentiel de changer la donne, d’exposer clairement le danger, de contrecarrer la toile de mensonges que ces bombes à retardement savent si bien tisser.

Parlez-en aux proches de Myriam Dallaire et de sa mère, tuées à Sainte-Sophie en 2021. L’ex-conjoint, qui purge actuellement une peine de prison à vie, prétextait se rendre au tribunal pour des contraventions impayées alors qu’il y était en réalité accusé de voies de fait et menace de mort envers une ancienne partenaire. Ils n’ont jamais eu « le droit de savoir ». Parce qu’au Québec, si un policier se risque à divulguer l’existence d’antécédents judiciaires, même à la suite d’un signalement ou d’un appel 911 au domicile, il s’expose à une faute déontologique.

Voilà une règle du jeu insensée que nous aurions le pouvoir de changer.

Pour paraphraser Claude Péloquin, qui avait le tour de déverser sa rage tout en poésie : « Vous êtes pas écœurés de les voir mourir, bande de caves ! C’est assez ! »

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