Dans les mois qui ont suivi son départ de la vie politique, Dominique Anglade a pris du recul. Une pause qui lui a permis de réfléchir à ce qu’elle souhaitait faire des années qui viennent. Trouver un sens pour continuer d’avoir de l’impact. Une étape tout particulièrement importante pour les femmes, souligne-t-elle.

Arrêter. Pas pour de bon, mais pour reprendre son souffle, pour respirer, pour réfléchir. Arrêter. Pour calmer une intensité que seul un véritable arrêt autorise. Je l’ai fait souvent et sous différentes formes. Mais chaque fois, je me suis dit : vite, il faut penser à la prochaine promotion. Vite, il faut tomber enceinte. Une fois, deux fois, trois fois. Vite, courir après le prochain défi, la prochaine étape de la vie. La vitesse te donne ce sentiment que tu mords dans la vie à pleines dents. On enfile les activités, un évènement n’attend pas l’autre. Vite, la vie est courte. L’horaire est chargé, chaque case est occupée, organisée, structurée. Et ça ne rend pas malheureux pour autant, puisqu’au contraire, ce sont ces horaires et tous ces projets qui rythment nos vies.

Pourtant, si je me suis arrêtée si souvent, c’est que quelque part, j’étais consciente que la vie ne pouvait pas être constamment vécue à vitesse grand V. Parce que je reconnaissais peut-être une certaine vérité qui interpelle dans les paroles de nos Cowboys, « chacun son tour joue du klaxon / tellement pressé d’aller nulle part ».

Mais mon dernier arrêt était étonnamment différent. Différent parce que je ne courais plus après la prochaine promotion. Différent parce que j’ai eu mes enfants et que je me retrouve dans un tout nouveau contexte que j’apprivoise et que j’aime bien plus que je n’aurais pu l’imaginer. Arrêter, donc. Le temps de faire une marche à 22 h avec mon ado de 16 ans, le temps de commencer une discussion à 23 h 15 avec ma fille de 15 ans, le temps de ne rien faire, sinon plein de câlins avec le bébé de la famille. Le temps de lire, de réfléchir, de reprendre contact, de s’émerveiller encore et encore devant des paysages, de passer six heures à un brunch avec plein de super filles. Le temps d’être seule.

Mais pourquoi cet arrêt m’a-t-il semblé si différent ?

Et je fais humblement le constat que c’est sans doute la sérénité d’une femme qui approche la cinquantaine. Je me suis surprise il y a un an à dire que je réfléchissais à ce que je voulais faire « pour le temps qui reste ».

Qu’avais-je dit ? C’était la première fois de ma vie que je m’entendais prononcer ces mots : « le temps qui reste ». Comme si j’apprivoisais enfin ma propre mortalité. Je suis moi-même restée surprise. À 49 ans, il y a encore du temps, mais il y en a moins qu’il y en avait. Les enfants qui vieillissent, des proches qui nous quittent, le rappel qu’on n’est pas immortel, justement. Ce n’est pas une crise, mais une réflexion réelle et profonde sur ce qu’on veut que soient nos prochaines années. La vie m’a fait courir pour tout, mais suis-je obligée de courir autant ? En ai-je envie ? Pour l’instant, je découvre qu’il y a une phase pour tout et une question à laquelle répondre : « Quel sens donner à ta vie pour le temps qu’il te reste ? »

Et puis je me rends compte que je suis loin d’être seule à avoir ces réflexions, même si chacun a une réalité qui lui est propre. Nombreuses sont celles qui se demandent si, après avoir tout désiré, tout voulu, parfois (pas toujours) tout obtenu, on veut se concentrer sur ce qui a un sens profond.

Et pour une femme, cet âge est singulièrement important. Parce que la famille a été fondée, parce que les postes convoités ont été obtenus ou pas, mais que la vraie question se résume davantage ainsi : que faire de cette expérience accumulée et en quelque sorte de cette liberté retrouvée ? Cette liberté de temps. Les enfants n’exigent plus autant dans le quotidien et les tâches, même s’ils demandent quand même une présence quand ça compte… Et puis, s’ajoute à ce contexte lié en bonne partie à l’âge la fameuse question encore trop taboue de la ménopause. Notre réalité physique se transforme et exige aussi une réelle adaptation pour passer à travers petits ou gros changements, c’est selon, mais aucune femme n’y échappe. Et pour certaines, des conséquences personnelles et professionnelles non triviales apparaissent au moment même où la femme a une expérience et une expertise redoutables pour contribuer à la société. Alors un recul, pour mieux comprendre ce qui arrive à notre corps, comprendre ce qui arrive à notre tête. Ce recul peut prendre de multiples formes : un changement dans notre état d’esprit, un week-end en solitaire, une pause du travail quand nous pouvons nous le permettre, des vacances pour réfléchir.

Pour la première fois de ma vie, j’ai la chance de ne pas vivre sous le diktat de ce que je devrais faire, mais plutôt sous celui de ce que j’ai envie de faire.

Alors là, aujourd’hui, au moment où les guerres se multiplient, où notre climat fout le camp, où des leaders de grandes nations devraient sérieusement transmettre le pouvoir, là, en ce moment présent, n’est-il pas sage en effet de prendre un peu de temps pour soi, un peu de recul, si on le peut, et de réfléchir à ce qui est vraiment important et à la façon dont on souhaite y contribuer ?

Et si ce recul était l’étape préalable pour réussir la suite en évitant de tout bousiller parce qu’on ne comprend pas ce qui nous arrive ? Et s’il nous permettait d’appréhender un monde devenu éminemment complexe, anxiogène, mais dont la suite n’est pas encore écrite ?

Et si cette réflexion n’était pas seulement de la responsabilité de la femme qui la vit, mais aussi de nos institutions, de nos entreprises, de notre fonction publique ? Peut-être que notre société au grand complet devrait y être conviée parce qu’après tout, c’est la moitié de notre population qui va passer par là.

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