L’avenir de Radio-Canada a fait les manchettes cette semaine alors que la société d’État annonçait des mises à pied importantes qui font suite aux diminutions de ses recettes publicitaires. Et comme c’est souvent le cas, la réalité a été vécue de façon fort différente selon la langue des téléspectateurs.

Car le phénomène des deux solitudes trouve aussi son écho dans la réalité médiatique du pays. Si CBC et Radio-Canada (RC) sont toutes deux affectées par la déloyale concurrence des réseaux sociaux américains qui leur grugent des parts importantes de revenus publicitaires, la première l’est davantage que la seconde.

En fait, malgré la taille quatre fois supérieure de son marché, CBC peine à tirer son épingle du jeu dans le paysage médiatique du ROC (rest of Canada). Par exemple, celle-ci est de 4,4 % pendant que celle de RC dans le marché francophone est de 23,2 %, cinq fois supérieure. Les politiciens québécois qui depuis l’annonce des restrictions budgétaires de la société d’État dénoncent l’iniquité des coupes (qu’on prévoit répartir également dans les deux entités) ont bien raison.

Si le fort rayonnement de RC persiste au Québec avec ses nombreuses séries, émissions d’information et de divertissement au sommet des cotes d’écoute, la CBC fait de son côté piètre figure.

Par exemple son téléjournal attire beaucoup moins de téléspectateurs que celui de RC. En 2022, parmi les 10 émissions à plus forte écoute, le Bye bye 2022 de RC (plus de 4,39 millions de téléspectateurs) a été troisième au Canada toutes émissions confondues. La seule émission qui a permis à CBC de se faufiler dans le top 10 est Hockey night in Canada qu’elle ne réalise pas. Parlant de hockey, voilà une autre injustice sur laquelle les politiques devraient se pencher. Pourquoi les francophones doivent-ils obligatoirement payer pour regarder leur sport national dans leur langue, alors que les amateurs de gouret anglophones peuvent regarder leur sport favori gratuitement ?

Les raisons de l’insuccès

Quand il est question d’analyser l’impopularité de la CBC, les pistes sont nombreuses. Du côté de la droite canadienne, la CBC est souvent perçue comme le porte-voix libéral. Voilà qui peut paraître paradoxal pour ceux qui se souviennent que Pierre Elliott Trudeau a déjà traité RC de « nid de séparatistes ». Il est vrai que cela était à une autre époque… D’autres vont simplement accuser CBC de produire des émissions plates auxquelles ils préfèrent, comme beaucoup de Canadiens, les émissions américaines.

Mais une autre raison de cette impopularité est, selon certains, attribuable à l’idéologie moralisatrice de la CBC, tout particulièrement depuis qu’elle est dirigée par Catherine Tait, l’actuelle présidente.

Dans le National Post du 8 février dernier, l’analyste politique Rex Murphy, un ancien de la CBC, dénonce le prêchi-prêcha diversitaire de CBC : « Their first priority, the mother of all priorities is that hallowed Diversity. Capital D. All bends and stands in line behind Diversity », lance-t-il avec exaspération dans une charge contre l’actuelle administration de la société d’État. Cela nous ramène à un épisode qui a un peu passé sous le radar au Québec, mais qui a certainement laissé des traces au Canada anglais : celui de Wendy Mesley. Après 42 ans de loyaux services, celle qu’on pourrait appeler la Céline Galipeau anglophone, s’est fait montrer la porte de la CBC. Son crime : avoir mentionné le fameux mot en « n » pendant une réunion de travail en tentant simplement d’expliquer la sensibilité différente des Québécois envers les enjeux diversitaires.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Catherine Tait, PDG de CBC/Radio-Canada

La diversité serait donc devenue la priorité des priorités à la CBC et les artisans de RC peuvent témoigner que cette préoccupation a largement débordé du côté francophone au cours des dernières années, loin devant les réalités linguistiques et économiques. Autre iniquité balayée par le vernis diversitaire de CBC : malgré une situation financière périlleuse, la société d’État a distribué l’an dernier des millions en bonus à ses cadres. Questionnée par une journaliste de son propre réseau sur la possibilité de voir l’inéquitable pratique se répéter cette année après l’annonce horribilis de lundi, la présidente Tait n’avait que des propos sibyllins à offrir en guise de réponse.

CBC songe-t-elle vraiment à distribuer d’autres bonus à ses cadres encore cette année après avoir mis à pied près de 10 % de ses effectifs ?

S’il y a une conclusion à tirer de tout cela, c’est que malgré ses prétentions, la société d’État s’en titre beaucoup mieux au chapitre de l’iniquité qu’au chapitre de la diversité. La société d’État se félicitait dans le dernier rapport annuel (mars 2023) d’avoir « mis sur pied une formation sur les salles de nouvelles inclusives afin d’aider les leaders à bien comprendre l’inclusion » 1. Il serait peut-être temps d’inclure dans les nombreuses formations sur la diversité de la société d’État le concept de la diversité linguistique. Car s’il y a un succès dont pourrait se vanter la société d’État, c’est d’avoir fait rayonner le français, une langue minoritaire, dans l’océan anglophone qu’est l’Amérique. Malheureusement, ce n’est pas ainsi que les leaders de la CBC semblent voir les choses. RC est plutôt perçu par CBC comme une vache à lait utile pour sauver du désastre le réseau anglais. Et peu lui importe d’entraîner avec elle le réseau français dans sa chute… Devant le désastre appréhendé, on ne peut que faire une suggestion aux politiques : revoir urgemment la mission de la société d’État. Ça presse…

1. Rapport annuel 2022-2023 de Radio-Canada, page 14