Notre collaboratrice, ancienne journaliste à La Presse, a fait plus d’une dizaine de reportages au Proche-Orient entre 1995 et 2012. Y compris en Cisjordanie.

Il y a une vingtaine d’années, alors que la seconde intifada faisait rage au Proche-Orient, j’ai eu l’occasion de visiter Efrat, une colonie de peuplement juif située près de Bethléem, en Cisjordanie, dans le cadre d’un reportage pour La Presse.

« Notre maire est très intelligent », m’avait fièrement dit mon guide en montrant du doigt quelques roulottes installées au loin, au-delà des limites de l’implantation. Puis il m’avait expliqué que ces campements illégaux n’étaient que temporaires et que le territoire où étaient installées les roulottes finirait par être incorporé à Efrat.

Il n’y avait qu’à attendre le prochain attentat du Hamas à Jérusalem ou à Tel-Aviv pour demander aux autorités israéliennes d’autoriser la construction sur le terrain du campement. Une attaque terroriste et, par un coup de baguette magique, le feu vert serait donné, ce qui était temporaire deviendrait permanent.

Mon guide était admiratif devant cette stratégie qui m’apparaissait d’un cynisme absolu. À cette époque, les Israéliens vivaient dans la terreur des attentats suicides. Miser sur ces attentats pour coloniser davantage me semblait plus qu’odieux.

J’avais choisi de ne pas évoquer cet incident dans mes reportages parce qu’il m’apparaissait trop gros, peut-être anecdotique, offensant pour les civils israéliens qui vivaient dans la peur constante de perdre leurs proches.

Pourtant, cette même stratégie du pire est à l’œuvre aujourd’hui. Deux semaines après l’attaque atroce et inhumaine contre des civils israéliens vivant près de la bande de Gaza, le mouvement des colons juifs profite des circonstances en multipliant les attaques contre des communautés palestiniennes en Cisjordanie, dans le but avoué de vider des villages de leurs habitants.

  • De jeunes colons israéliens brandissent un drapeau israélien dans le nouvel avant-poste sauvage d’Eviatar, près de la ville palestinienne de Naplouse, en Cisjordanie occupée, en 2021.

    PHOTO MENAHEM KAHANA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    De jeunes colons israéliens brandissent un drapeau israélien dans le nouvel avant-poste sauvage d’Eviatar, près de la ville palestinienne de Naplouse, en Cisjordanie occupée, en 2021.

  • Des Palestiniens portent un drapeau lors d’un affrontement nocturne à la suite d’une manifestation contre les colonies israéliennes dans le village de Beita près de la ville de Naplouse, en Cisjordanie occupée, en juin 2021.

    PHOTO ABBAS MOMANI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    Des Palestiniens portent un drapeau lors d’un affrontement nocturne à la suite d’une manifestation contre les colonies israéliennes dans le village de Beita près de la ville de Naplouse, en Cisjordanie occupée, en juin 2021.

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Selon l’ONG israélienne B’tselem, qui documente les atteintes aux droits des Palestiniens en territoires occupés, depuis le 7 octobre, pas moins de 13 de ces communautés ont dû quitter leurs villages sous la menace et les attaques violentes des colons. Il s’agit souvent de hameaux, qui comptent quelques dizaines de familles, quelques centaines d’habitants. Ils étaient déjà sous pression avant le 7 octobre. Depuis, les attaques se multiplient, la violence augmente, et des Palestiniens quittent leurs terres dans un exode qui, aux yeux de certains commentateurs de la gauche israélienne, comme Gideon Levy, ressemble à un début de nouvelle « Nakba » – l’exil forcé des centaines de milliers de Palestiniens dans la foulée de la guerre qui a suivi la proclamation de l’État hébreu, en 1948.

Pour chasser la population, les colons n’hésitent pas à leur couper l’accès à l’eau, à détruire leurs infrastructures agricoles, à bloquer des routes vitales, à attaquer physiquement les habitants. Dans un des villages ciblés, Deir Istya, près de Naplouse, des colons ont pris d’assaut les oliveraies locales puis ont laissé derrière eux des tracts sommant les habitants de fuir en Jordanie (!) s’ils ne voulaient pas subir de nouvelles attaques.

Ces agressions, qui ne sont pas réprimées par l’armée israélienne (dans certains cas, des soldats vont jusqu’à escorter des colons !), passent sous le radar de la communauté internationale qui a les yeux tournés vers la bande de Gaza. Pour dire les choses crûment : le mouvement de colonisation profite de la « distraction » offerte par la vague de terreur du 7 octobre pour faire avancer ses pions et sa cause. Le pire attentat de l’histoire d’Israël lui offre une occasion unique de s’approprier de nouveaux territoires.

PHOTO JAAFAR ASHTIYEH, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un jeune Palestinien brandit un drapeau du Hamas lors d’affrontements avec les troupes israéliennes à l’entrée nord de la ville de Ramallah, en Cisjordanie, près de la colonie israélienne de Beit El, le mois dernier.

La stratégie du pire est aussi à l’œuvre au sein du Hamas, bien sûr, avec le même cynisme. Car le Hamas n’hésite pas à sacrifier les civils de la bande de Gaza et à les exposer au feu et aux bombes israéliennes dans la poursuite de son dessein ultime : faire disparaître l’État hébreu de la carte.

Il y a, en Israël comme en Palestine, des voix modérées qui appellent au dialogue et à la paix.

Malheureusement, en Israël, les colons fanatiques sont aujourd’hui au pouvoir. Pire : l’actuel premier ministre Benyamin Nétanyahou a déjà déclaré que le soutien financier au Hamas est le meilleur moyen d’empêcher la création d’un État palestinien. Selon le journal Haaretz, il a notamment fait cette déclaration à un rassemblement de son parti, le Likoud, en mars 2019. La stratégie du pire l’a incité à vouloir ainsi diviser les Palestiniens, quitte à nourrir le monstre pour délégitimer la solution des deux États.

Ainsi, deux mouvements radicaux s’affrontent aujourd’hui. D’un côté, le Hamas qui n’a aucune intention d’accepter de négocier avec Israël et qui sait que les bombardements massifs radicaliseront l’opinion publique à Gaza et pousseront de nouvelles recrues dans ses bras.

PHOTO MAYA ALLERUZZO, ASSOCIATED PRESS

Une femme parle au téléphone dans la colonie tentaculaire d’Asa’el au sud d’Hébron, en septembre dernier. L’avant-poste abrite 90 familles, dont celle du frère du ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich.

En face, le gouvernement israélien où des fanatiques religieux occupent des postes aussi névralgiques que ministre de la Sécurité intérieure (Itamar Ben-Gvir) ou ministre des Finances (Bezalel Smotrich).

Dans les deux camps, on n’hésite pas à prendre la population en otage pour réaliser un projet qui, en gros, consiste à vouloir anéantir l’Autre et prendre possession de tout le territoire compris entre la Méditerranée et le Jourdain.

On entend souvent dire que le conflit palestino-israélien est insoluble. Je suis profondément convaincue que ce n’est pas le cas. Mais que ça restera impossible tant que les deux franges radicales, persuadées que le temps est de leur côté et qu’elles n’ont donc fondamentalement aucun intérêt à conclure des compromis, resteront aux commandes, de part et d’autre.

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