Un grand érable domine sur un terrain depuis des années. Il s’étale dans une stature parfaite, en hauteur et en largeur, avec des branches et des feuilles dessinant une forme oblongue qu’on dirait modulée, façonnée, dressée par l’homme. Il n’en est rien. La nature s’est inscrite en grandeur, de manière à impressionner la sensibilité humaine, à produire admiration et émerveillement, mais sans a priori, sans dessein.

Chaque automne, cet arbre tourne au rouge, se distingue par contraste, et salue jusqu’au retour de la saison du vert tendre. Par contre, cette année, ses feuilles ont tourné précocement à l’ocre et ont tapi le sol bien avant leur heure. Pourtant, aucun signe de maladie, pas la moindre trace d’usnée pour suggérer un affaiblissement. Mais l’horrible sentiment que ce singulier monument pourrait ne pas s’orner de chlorophylle au printemps.

Dans ce cas, ce symbole si visible de la beauté émeut par la crainte de sa disparition. Il y a pourtant des centaines d’arbres qui ne survivront pas à l’hiver, incognito, dans l’anonymat de la forêt. Plusieurs de ces disparitions sont prévisibles, avec des marques de maladie, souvent sans lien avec l’âge et le nombre de cernes dendrochronologiques du tronc. Pour d’autres, les affres du temps et de la maladie ne sont pas visibles. Ils failliront néanmoins à s’orner de bourgeons.

Ainsi en est-il de notre condition humaine. Avec la capacité du renouvellement, mais le constant rappel de notre manque d’éternité.

La mort d’un arbre s’inscrit sans surprise. Mais qui sait comment la forêt entière réagit ou s’adapte à la suite de la perte d’une ou de plusieurs de ses constituantes. Que ce soit par les effets d’un cycle naturel ou résultant de changements draconiens à l’ordre des choses et au climat, voire à des incendies catastrophiques.

Le cycle qu’imposent les saisons aux arbres prévaut tout autant pour le genre humain. Nous avons appris cependant à dominer certaines maladies, jusqu’à presque exiger que la médecine repousse les limites de l’existence. Mal en faut, alors que chaque victoire contre des maux en laisse d’autres surgir. Chaque année gagnée en espérance de vie nous laisse aux prises avec de nouvelles affres, remet en question notre tolérance à l’atteinte à l’orgueil, à la dignité, à la qualité de la vie.

Chaque printemps, il est impossible de prédire quels arbres revêtiront de nouveau un feuillage capable de photosynthèse, si le grand érable qui émeut tant par sa beauté et sa stature offrira encore une oasis d’ombre, un habitat aux oiseaux, une source d’oxygène et de purification d’oxyde de carbone. Et quel sera l’impact de la perte de ce pilier. Les changements climatiques contraignent la nature à subir. À l’homme aussi.

Alors que la société nous a longtemps permis de repousser les limites des termes qui définissent qui vit et qui meurt, cette même société a créé des conditions qui évoluent plus vite qu’elle, qui la mettent en danger, risquant chaque jour de perdre le fragile équilibre entre, d’une part, la quantité et la qualité de vie et, de l’autre, le péril même de l’existence.

Chaque médecin constate le dur effet du cycle vital, voyant des patients mourir trop tôt ou sans raison évidente, incitant à des efforts renouvelés en innovation, en investigation, en assistance. Les Nobel de médecine sont une liste généreuse d’avancées scientifiques ayant permis de repousser le destin. Des radiographies aux antibiotiques, des groupes sanguins à l’insuline, de l’ADN au vaccin à ARN pour la COVID. Par contre, dans la pratique quotidienne, et c’est particulièrement notable en oncologie, le lot des pertes force au retour aux objectifs de base : ne pas prétendre guérir, mais donner quelque temps de plus avec la maladie au plus grand nombre possible.

Car plus du quart, en fait près du tiers, de la population décède à cause du cancer. Et ce nombre ne diminuera pas, allant plutôt en s’accentuant. La prévalence du cancer ne cesse d’augmenter, c’est-à-dire le nombre de personnes qui vivent avec un diagnostic de cancer, qu’il soit actif ou pas. Par contre, les infrastructures pour voir au suivi des survivants, pour donner des soins novateurs aux gens qui ont nouvellement reçu un diagnostic sont débordées, inadéquatement planifiées, et offertes par un personnel insuffisant et dépassé par la charge de travail et émotive associée. Le choc des modifications démographiques en santé est tout aussi significatif et immédiat que les changements climatiques que l’on discute maintenant à chaque variation de la météo.

L’oncologie, c’est permettre au grand érable d’offrir sa beauté et son utilité pour plus longtemps, lui permettre de reverdir après l’épreuve de l’automne.

Mais ce devrait aussi être de planifier les soins, les mesures préventives et de dépistage pour contrer l’augmentation du nombre de diagnostics et en réduire l’impact social, en plus d’assurer des soins de palliation en temps opportun.

« Rien n’est plus douloureusement calme qu’un crépuscule d’automne », nous a dit Zola. L’absence de certitude du lendemain nous touche tous individuellement, de différentes manières. Mais collectivement, elle devrait nous obliger à mieux pour assurer des options face à la maladie, au cancer, au potentiel de survie, aux intentions quant à la fin de la vie.

On parle constamment de réforme en santé. Il n’y a pourtant rien de plus réconfortant que de compter sur des structures stables, en adaptation constante plutôt que ponctuelle, majeure et insécurisante pour la majorité. La tentation de réinventer la desserte de soins doit s’inscrire dans la durée, dans le devoir de prédire un printemps qui verra plus d’arbres survivre à l’automne et à l’hiver.

Et cela n’incombe pas qu’aux gouvernements. Le leadership et l’engagement de tout un chacun renforcent notre action plus que tout projet de loi, que toute entente collective, que tout argent annoncé à grand renfort d’épithètes et de sourires satisfaits.

Souhaitons-nous donc un hiver qui permettra d’offrir un printemps avec une qualité de vie signifiante au plus grand nombre.

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