En début de semaine, le président de la Chambre des représentants, le républicain Kevin McCarthy, a été démis de ses fonctions — une première dans l’histoire des États-Unis. Prévisible pour un personnage péniblement élu il y a à peine huit mois, cet évènement ouvre une période tumultueuse pour le fonctionnement des institutions politiques américaines. Ses répercussions sur les élections de 2024 sont incertaines, mais potentiellement funestes pour l’avenir de la démocratie américaine.

Pour obtenir le poste qu’il convoitait tant, McCarthy a consenti de larges concessions à l’aile extrémiste de son propre parti, dont la possibilité pour un seul représentant (au lieu de cinq auparavant) de déposer une motion pour le renverser. Mardi, huit de ces républicains radicaux ont voté en faveur d’une telle motion. La grande majorité des élus républicains (210) s’y est toutefois opposée. C’est donc l’appui de l’ensemble des démocrates présents au moment du vote (208) qui a précipité sa chute.

Démocrates et républicains extrémistes unis contre McCarthy

Les démocrates ne manquaient pas de bonnes raisons de vouloir se débarrasser de McCarthy. Le 6 janvier 2021, il a refusé de certifier les résultats de l’élection de 2020. Il s’est ensuite opposé à la création de la commission spéciale de la Chambre portant sur les évènements survenus lors de cette journée. Début septembre, McCarthy a autorisé l’ouverture d’une procédure de destitution contre Joe Biden. Aucune preuve tangible justifiant celle-ci n’a pourtant été trouvée par ses collègues républicains en dépit de mois d’enquête. Enfin, la fin de semaine dernière, il a accusé les démocrates d’avoir fait courir le risque d’une fermeture du gouvernement fédéral. Ceux-ci ont pourtant massivement voté en faveur de l’entente de dernière minute qu’il leur a soumise, contre moins de la moitié des républicains.

Actuellement dirigés par un président par intérim, les travaux de la Chambre des représentants pourraient être paralysés. Il n’est en effet pas clair si celui-ci dispose de l’ensemble des prérogatives du poste. Il devrait alors se contenter d’organiser l’élection d’un nouveau président. La Chambre ne pourrait donc pas travailler sur des dossiers majeurs, tels le financement du gouvernement fédéral — qui n’est assuré que jusqu’à la mi-novembre en vertu de l’entente conclue le 30 septembre — ou le renouvellement de l’aide, essentielle, à l’Ukraine.

Cette paralysie de la Chambre, fruit de la zizanie qui règne chez les républicains, ne joue pas nécessairement à l’avantage des démocrates dans la perspective des élections de novembre 2024. En un peu plus d’un an, les électeurs auront largement le temps d’oublier le chaos qui sévit en ce moment à Washington. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’ils en tiennent rigueur au Parti républicain. L’élection laborieuse de McCarthy à la présidence de la Chambre au mois de janvier 2023 n’avait que marginalement affecté l’image du parti : le taux d’opinions défavorables est à peine passé de 56,7 % à 58,9 %, selon un sondage YouGov/The Economist 1.

Un spectacle qui menace la démocratie américaine

Le tribalisme politique, cette tendance à soutenir son camp coûte que coûte, peut certes expliquer pourquoi un parti si dysfonctionnel et déliquescent que l’est actuellement le Parti républicain peut encore espérer conquérir le pouvoir. Un phénomène plus fondamental, et potentiellement plus inquiétant pour l’avenir de la démocratie américaine est cependant à l’œuvre. La population apparait de plus en plus désintéressée et blasée par le spectacle qu’offre Washington. Une étude récente du Pew Research Center 2 souligne ainsi que 63 % des Américains n’ont plus confiance en leur système politique. Ils sont autant à être insatisfaits des candidats qui émergent en vue des élections de 2024. Et à peine 16 % d’entre eux accordent du crédit au gouvernement fédéral, l’un des taux les plus faibles des 70 dernières années.

Une telle crise de confiance, doublée d’une perte totale de repères d’une bonne partie de l’électorat républicain, peut laisser craindre une tentation autoritaire chez nombre d’Américains. C’est parce qu’ils ne semblent plus apprécier les institutions démocratiques qu’une part non négligeable d’entre eux est aujourd’hui prête à voter pour un candidat comme Donald Trump, qui a maintes fois fait preuve d’incompétence et d’inefficacité lors de sa présidence, qui fait l’objet de 91 chefs d’accusation dans quatre procès criminels, et dont les penchants despotiques sont manifestes.

La démocratie américaine est de toute évidence menacée. L’étude du Pew Research Center laisse néanmoins entrevoir au moins deux motifs d’optimisme. D’une part, la population américaine est très majoritairement favorable à des mesures qui pourraient significativement améliorer la vie politique du pays, telle l’imposition de limites d’âge et de nombre de mandats pour les élus à Washington ou de règles plus sévères pour réduire le poids de l’argent. D’autre part, si elle est désabusée par la joute partisane et estime que l’élection de 2024 suscite trop d’attention, la population américaine aspire à être davantage informée sur les grands enjeux auxquels le pays est confronté et à mieux comprendre les politiques publiques sur lesquelles travaillent les élus.

La tentation autoritaire n’est donc pas inéluctable aux États-Unis. L’éviter requiert toutefois que les acteurs de cette indispensable démocratie, élus à Washington et médias en tête, soient à la hauteur des attentes de la population. Une mission délicate, mais pas impossible.

Consultez Le sondage YouGov/The Economist (en anglais)

Consultez L’étude du Pew Research Center (en anglais)