(New York) Bousculée ces dernières années par une série de précédents déstabilisants, la vie politique des États-Unis a connu mardi une autre journée historique qui a mis en lumière sa nature de plus en plus chaotique et dysfonctionnelle.

Moins d’un an après son élection à la présidence de la Chambre des représentants lors d’un 15e tour de scrutin – du jamais vu –, Kevin McCarthy est devenu le tout premier « speaker » à être destitué de ce poste qui le plaçait au sommet de la hiérarchie du Congrès américain et au deuxième rang dans l’ordre de succession présidentielle après la vice-présidente Kamala Harris.

Après une réunion avec ses collègues républicains, le représentant de Californie a annoncé qu’il ne prolongerait pas son humiliation en se portant candidat à sa propre succession.

« Je n’abandonnerai jamais le peuple américain, mais cela ne signifie pas que je doive être président de la Chambre », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse tenue en soirée.

En parlant des républicains extrémistes qui ont contribué à sa chute, il a ajouté : « Ils n’ont pas le droit de dire qu’ils sont conservateurs parce qu’ils sont en colère et chaotiques. Ce n’est pas le parti auquel j’appartiens. »

La Chambre ne tiendra pas de vote pour choisir un nouveau président avant la semaine prochaine, le temps de permettre aux candidats républicains potentiels de se manifester et de faire campagne.

Contesté depuis la première heure, Kevin McCarthy aura été victime des mêmes forces qui lui avaient mené la vie dure lors de son élection à la présidence de la Chambre en janvier dernier.

C’est d’ailleurs une de ses concessions aux membres les plus radicaux du groupe républicain qui a causé sa perte.

Cette concession a permis au représentant républicain de Floride Matt Gaetz, trublion ultraconservateur, de réclamer la tenue d’un vote sur une motion pour destituer le président de la Chambre. La motion a été adoptée par 216 voix contre 210 (sept représentants étaient absents et deux sièges sont vacants). Huit républicains ont voté avec l’ensemble des démocrates pour détrôner leur chef. Pour conserver son poste, Kevin McCarthy ne pouvait pas se permettre de perdre plus de cinq votes républicains.

« C’était personnel »

« Il est dans l’intérêt de ce pays d’avoir un meilleur président de la Chambre que Kevin McCarthy », a déclaré Matt Gaetz après le vote. « Kevin McCarthy n’a pas pu tenir sa parole. »

PHOTO KENT NISHIMURA, THE NEW YORK TIMES

Le représentant de Floride Matt Gaetz s’adressant aux médias après le vote mardi

À l’instar de plusieurs de ses collègues de la droite dure, le représentant de Floride reprochait notamment à Kevin McCarthy de s’être appuyé sur des votes démocrates pour assurer l’adoption d’un projet de loi budgétaire temporaire et éviter ainsi une paralysie du gouvernement, samedi dernier.

Des représentants républicains plus modérés ont cependant vivement critiqué Matt Gaetz, attribuant sa manœuvre contre Kevin McCarthy à un désir insatiable d’attirer vers lui l’attention des médias et l’argent des donateurs. Lors de sa conférence de presse, Kevin McCarthy a lui-même adhéré à cette critique.

« Vous connaissez tous Matt Gaetz », a-t-il déclaré en s’adressant aux journalistes. « C’était personnel. Cela n’avait rien à voir avec les dépenses. »

D’autres représentants républicains ont exprimé la crainte que le chaos provoqué par Matt Gaetz finisse par aider les démocrates à retrouver la majorité à la Chambre en 2024.

L’un des collègues de ce dernier a exprimé sa frustration en le traitant de « trou du cul ».

« Je préfère le bon sens au chaos », a déclaré le représentant républicain de New York Anthony D’Esposito sur Fox News. « Je pense que nous devrions nous concentrer sur la gouvernance plutôt que sur les grandes manœuvres, et le fait que nous ayons un trou du cul qui nous empêche d’avancer et qui empêche l’Amérique d’avancer est un vrai problème. »

Donald Trump, qui compte en Kevin McCarthy et Matt Gaetz deux alliés, s’est étonné pour sa part de ce conflit fratricide qui fait rage au sein du groupe républicain à la Chambre depuis sa conquête de la majorité en 2022.

« Pourquoi les républicains se battent-ils toujours entre eux, pourquoi ne combattent-ils pas les démocrates de la gauche radicale qui détruisent notre pays ? », a écrit l’ancien président dans un message publié sur Truth Social pendant une pause de son procès civil pour fraude à New York et avant le vote sur la motion pour destituer Kevin McCarthy.

Donald Trump n’a cependant pas offert de commentaire après le vote qui a détrôné l’homme dont il avait favorisé l’élection en janvier dernier en appelant les rebelles à mettre fin à leur fronde.

Chambre paralysée

Après la destitution de Kevin McCarthy, les républicains et les démocrates ont tenu des réunions séparées pour aborder la question du prochain président de la Chambre. Les démocrates ont déjà leur candidat : le représentant démocrate de New York Hakeem Jeffries, chef de la minorité.

PHOTO ANDREW CABALLERO-REYNOLDS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le démocrate Hakeem Jeffries, chef de la minorité démocrate à la Chambre des représentants

Le choix des républicains ne sera pas aussi facile. Les noms de cinq candidats potentiels ont circulé mardi soir : Patrick McHenry (Caroline du Nord), Steve Scalise (Louisiane), Tom Emmer (Minnesota), Tom Cole (Oklahoma) et Jim Jordan (Ohio). Parmi ceux-ci, Scalise et Emmer font partie de l’état-major républicain à la Chambre, le premier en tant que chef de la majorité, le second en tant que whip.

En attendant l’élection du successeur de Kevin McCarthy, Patrick McHenry occupera les fonctions de président intérimaire de la Chambre. À la veille du vote de mardi, il avait appelé les démocrates à aider son collègue californien à se maintenir à son poste.

« Je pense qu’avec lui, nous aurons une Chambre bien plus fonctionnelle qu’avec n’importe qui d’autre », avait-il déclaré.

Les démocrates ont débattu de cette question mardi matin. Ils ont conclu qu’ils ne pouvaient pas sauver la peau d’un dirigeant républicain qui a pactisé avec Donald Trump après l’attaque du 6 janvier 2021 contre le Capitole, qui a tourné le dos à une entente conclue avec Joe Biden en mai dernier sur les dépenses gouvernementales et qui a donné le feu vert à une enquête en destitution visant le président démocrate.

« Nous encourageons nos collèges républicains qui se veulent plus traditionnels à rompre avec l’extrémisme, la dysfonction et le chaos », a déclaré Hakeem Jeffries, le chef du groupe démocrate, avant le vote. « Nous sommes prêts, désireux et capables de travailler avec nos collègues républicains, mais c’est à eux de se joindre à nous. »

La Chambre sera paralysée tant et aussi longtemps qu’un nouveau président n’aura pas été élu. Cette paralysie tombe d’autant plus mal que la Chambre des représentants et le Sénat ont jusqu’au 17 novembre prochain pour adopter les projets de loi de finances nécessaires au fonctionnement du gouvernement américain.