Notre monde n’a jamais eu autant besoin de recherche. Qu’il s’agisse d’urgence climatique, de crime organisé, les grands enjeux internationaux sont de plus en plus complexes et les positions à leur sujet clivantes. Seul moyen de briser les chambres d’écho qui nourrissent la polarisation, l’acquisition, la production et la dissémination d’information fiable, objectifs principaux de la recherche scientifique.

Mais, alors que l’on parle des risques associés au journalisme d’enquête en contexte autoritaire et violent et alors qu’il existe des organisations non gouvernementales dédiées à la documentation et au lobbying sur cette question, rares sont les débats publics qui portent sur les risques associés à notre métier. Pourtant, les chercheurs, qu’ils relèvent des milieux universitaires ou d’instituts de recherche, sont également visés. Et s’il existe une organisation non gouvernementale qui vise à leur apporter de l’aide (Scholars at Risk), il est plus rare de voir les gouvernements s’engager publiquement pour dénoncer les violations dont ils sont la cible. On se rappellera de Hooma Hoodfar, professeure d’anthropologie à l’Université Concordia, qui avait été détenue 112 jours dans la prison d’Evin en Iran.

C’est actuellement le cas du chercheur Raouf Farrah, emprisonné en Algérie depuis février 2023 et condamné à deux ans de prison ferme le 29 août dernier, au terme d’un procès qui aura duré une seule journée. Analyste sénior au centre de recherche Global Initiative against Transorganized Crime, Raouf Farrah travaille principalement sur les marchés illicites en Afrique du Nord et au Sahel. Il a été incarcéré au motif de « réception de fonds dans le but de commettre des actes susceptibles de porter atteinte à l’ordre public » et pour avoir « publié des informations ou des documents classifiés sur un réseau électronique ».

Diplômé du baccalauréat en philosophie et politique à l’Université de Montréal et de la maîtrise en développement international à l’Université d’Ottawa, Raouf Farrah est l’un des plus grands spécialistes canadiens du crime organisé. Ses analyses, disponibles en libre accès sur le site de la Global Initiative, sont lues au Conseil de sécurité des Nations Unies et à l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, à Vienne.

Nonobstant les accusations du gouvernement algérien, les travaux de Raouf Farrah reflètent une profonde éthique de recherche. Interviewé sur son parcours, il rappelait l’importance de la recherche terrain qui permet de « rencontrer des gens exceptionnels dans leurs milieux de vie, collecter des informations de première main et mieux comprendre l’histoire, la politique et l’économie des sociétés visitées » et soulignait que « l’humilité reste une attitude fondamentale face à la complexité des enjeux internationaux ».

Le procès en appel de Raouf s’ouvrira début octobre. Au-delà de la personne et de l’atteinte à sa liberté et à ses droits, ce procès est également celui du droit à la collecte, à l’analyse et à la publication d’informations fiables résultant d’un travail de terrain minutieux. Au-delà de Raouf, c’est le droit à la recherche scientifique balisée par des règles et des considérations éthiques qui est attaqué. Sans cette information, les bases de tout débat éclairé sur les enjeux complexes auxquels notre monde fait face seront sapées.

Conscient de ces défis, le gouvernement canadien s’est engagé dans la lutte contre la désinformation dans le contexte de la guerre en Ukraine. En 2021, il avait également lancé l’Initiative contre la détention arbitraire suite à l’affaire des « deux Michael ». La détention de Raouf Farrah devrait interpeller Ottawa sur ces deux plans. Parce que la production d’information fiable est plus urgente que jamais et que les chercheurs qui en font leur métier ne devraient pas être l’objet de détention arbitraire, le Canada doit s’investir pour faire libérer Raouf Farrah.

Cosignataires :

Rita Abrahamsen, professeure, École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa

François Crépeau, professeur, Faculté de droit, Université McGill

Laurence Deschamps-Laporte, professeure, Département de science politique, Université de Montréal

Frédéric Mérand, professeur, Département de science politique, Université de Montréal

Christian Nadeau, professeur, Département de philosophie, Université de Montréal