Beaucoup d’encre a coulé sur l’exclusion d’un diplomate indien par le Canada – puis réciproquement – et sur ses conséquences sur les relations canado-indiennes. Mon propos est lié, mais se concentre sur le petit mot qui ne passe pas inaperçu dans le résumé des faits : la personne assassinée en Colombie-Britannique en juin était considérée par l’Inde comme un « terroriste ».

Cet exemple illustre le problème fondamental de ce mot assassin : le mot « terroriste » veut tout dire, donc rien. On tend à penser qu’il est réservé aux actes de violence les plus graves ; il est plutôt extrêmement malléable.

Le contexte

Hardeep Singh Nijjar est arrivé au Canada en 1997. Il était, au moment de sa mort, un citoyen canadien. Il était de religion sikhe et un militant pour l’indépendance du Khalistan, un État revendiqué par des sikhs du Penjab. Ceux-ci ont été séparés par la frontière lors de la partition et l’indépendance du Pakistan et de l’Inde en 1947, et sont devenus des groupes religieux minoritaires dans ces deux États, respectivement majoritairement musulman et hindou. Il y a, depuis, des tensions entre l’Inde et sa minorité sikhe, et les militants pour le Khalistan sont associés depuis plusieurs décennies au terme « terrorisme ». Ce mouvement compte encore des appuis, mais il n’est plus très actif en Inde, il l’est davantage dans les diasporas sikhes.

L’Inde l’aurait néanmoins, en particulier depuis l’arrivée au pouvoir de l’administration Modi en 2014, présenté comme une menace sécuritaire et aurait renforcé la répression à l’égard des séparatistes sikhs. Au moins cinq groupes sikhs figurent à la liste indienne de groupes terroristes. L’Inde demande depuis plusieurs années aux pays occidentaux comptant des diasporas sikhes – celle du Canada est la plus importante – que des actions soient prises contre les indépendantistes sikhs, qualifiés d’« extrémistes » ou de « terroristes ».

Il faut savoir que de nombreux États mobilisent le terme « terrorisme » et l’arsenal de lutte internationale contre le terrorisme à l’encontre de minorités nationales, ethniques, religieuses ou politiques.

Il n’est pas rare que des journalistes, des dissidents, des personnalités politiques ou même de simples membres d’une communauté minoritaire soient qualifiés de « terroristes », même en l’absence de lien ou d’implication dans des actes violents. Quand certains individus appartenant à une minorité ou à un mouvement politique s’engagent dans des actes violents, il est fréquent que l’étiquette « terroriste » soit appliquée largement à l’ensemble du groupe, confondant la cause et les moyens. De nombreuses sources dénoncent exactement ce type de répression, menée notamment à travers des accusations pénales bidon, à l’égard de différentes minorités en Inde, y compris les dalits, les musulmans et les sikhs.

Selon ce qu’on en sait, Nijjar aurait été impliqué, au moment de sa mort, dans l’organisation en Inde d’un référendum non officiel pour l’indépendance du Khalistan. L’Inde, de son côté, prétend qu’il était le chef du Khalistan Tiger Force et membre d’autres groupes qualifiés de terroristes. Il figurait également sur la liste de personnes terroristes de l’Inde depuis 2020. Surtout, de multiples accusations criminelles pesaient contre lui en Inde – pour son implication présumée dans de récents actes de violence sur son territoire.

Hardeep Singh Nijjar était-il réellement impliqué dans le soutien, la planification, le financement d’actes de violence en Inde ou est-ce que ces accusations étaient une façon pour l’Inde de délégitimer ou de réduire au silence un militant pacifique, mais dérangeant pour l’administration Modi ? Nous ne le saurons probablement jamais. Ce qu’il faut retenir, c’est que Nijjar a fui l’Inde pour le Canada en 1997 pour sa sécurité et sa liberté. Qu’il ait ou non été impliqué dans des activités violentes, cela ne change rien à la qualification de son meurtre. Si les allégations d’implication de l’Inde dans sa mort sont vraies, c’est très grave. Et pas seulement pour la souveraineté du Canada, comme l’a laissé entendre Justin Trudeau, mais surtout pour le droit à la vie qui est, de toute façon, garanti à toute personne, qu’elle soit ou non, à tort ou à raison, qualifiée de « terroriste ».

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