Dans son éditorial de lundi, Stéphanie Grammond défend le maintien de la circulation de transit à travers le parc du Mont-Royal1. On évoque notamment l’accessibilité, l’idée d’un chemin de plaisance apaisé et les recommandations de l’OCPM de 2018. Je ne partage pas ces arguments. Je pense plutôt qu’on devrait revenir à l’essence du parc, peu compatible avec le passage de 10 000 voitures par jour, mais ce sont des arguments qui se défendent.

Toutefois, deux aspects du texte relatifs à la dynamique des systèmes de transport méritent qu’on creuse un peu plus, parce qu’ils évoquent des conséquences qui ne concordent pas avec l’état des connaissances en matière de mobilité.

D’abord, on sait que sur les 10 000 voitures qui circulent sur le mont Royal, 8500 ne font que le traverser. Pour citer le texte, on s’inquiète que « si on coupe la circulation, les véhicules ne vont pas disparaître par magie ». Et bien, oui : une partie du trafic disparaît bel et bien quand on élimine une voie de circulation. C’est ce qu’on appelle le phénomène de l’évaporation de la circulation, documenté sur plusieurs continents et étudié depuis plus de 20 ans par les spécialistes des milieux de l’urbanisme et de la recherche.

Comment la circulation s’évapore-t-elle ? Lorsqu’on diminue la capacité routière, les gens changent progressivement leurs habitudes : ils se déplacent à un autre moment ou vers une autre destination, prennent un autre moyen de transport, ne font plus ce déplacement, etc.

Le contexte de Camillien-Houde est particulièrement favorable à cette évaporation de la circulation parce qu’il s’agit essentiellement d’un raccourci, qui n’est pas vital, pour des trajets qui offrent de nombreuses options de destination et de moyens de déplacement. Il y a beaucoup de possibilités pour passer d’un côté à l’autre de la montagne.

Le deuxième aspect problématique de ce texte est qu’il laisse entendre que remettre en cause la place de la voiture augmenterait les émissions de gaz à effet de serre. Je cite : « À la place, ils contourneront la montagne, ce qui accentuera la congestion dans les quartiers périphériques […]. Au bout du compte, on augmentera donc les émissions de CO2. » Pour peu, on pourrait penser que le statu quo serait notre meilleure politique climatique !

Cette idée que rendre moins faciles les déplacements en automobile augmente les émissions carbone, je la croise périodiquement depuis 20 ans. Elle peut sembler cohérente à une personne qui considère seulement son propre déplacement, mais sur l’ensemble du système, la réduction progressive et planifiée de la place allouée à l’automobile s’est toujours traduite par une diminution du nombre de véhicules en circulation, des kilomètres parcourus et du bilan carbone. Copenhague, Singapour, Lyon, etc. : les résultats sont toujours les mêmes, la pollution globale diminue. À l’inverse, l’obsession de la fluidité mène directement vers une augmentation des nuisances liées à l’automobile, comme en font foi les grandes villes nord-américaines ceinturées et traversées d’autoroutes, qui émettent 10 fois plus de GES en transport par personne que leurs équivalents européens.

Bref, oui, il y a des questions qui sont valides par rapport au projet de transformation de Camillien-Houde. À titre d’exemple, je suis déçu et inquiet de l’absence de solutions annoncées en matière de transport en commun, qui pourrait pourtant maximiser l’accessibilité de la montagne. Mais les inquiétudes relatives à la congestion et aux gaz à effet de serre ne résistent pas très longtemps à l’analyse.

Remettre en question la place que prend la voiture dans nos vies et dans nos villes est l’une des urgences de notre époque et quand on y pense bien, le mont Royal est l’un des meilleurs endroits pour commencer, puisque Camillien-Houde est essentiellement un raccourci et que les solutions de rechange sont nombreuses. Si on ne réussit pas ici, on ne réussira nulle part.

Notre choix est simple : veut-on conserver une semi-autoroute qui traverse un parc pour accommoder 8500 automobiles par jour, ou veut-on protéger, verdir et embellir ce joyau montréalais ?

1. Lisez « Pourquoi bannir les autos de Camillien-Houde ? » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue