Me voilà de l’autre côté de ma carrière politique, plus libre de paroles et d’opinions. Je parle avec la liberté de regarder en arrière pour m’inspirer, et en avant pour ne pas scléroser ma pensée.

À la mi-juillet, le chroniqueur Alexandre Pratt a rapporté les propos d’Isabelle Deschamps Plante qui prend la relève de Ricardo dans l’émission culinaire de Radio-Canada. Il la cite : « Je souffre un peu du sentiment d’imposteur. » Évidemment, on peut comprendre que la nouvelle animatrice, pourtant déjà connue et aimée du public, puisse sentir un certain trac en succédant au pape télégénique des recettes et du savoir-faire entrepreneurial gastronomique. Mais on peut aussi se dire : voilà encore une femme, très talentueuse, bien préparée et compétente qui ressent ce sentiment d’imposture !

Je la comprends, c’est aussi un peu comme cela que je me sens d’avoir accepté d’écrire des chroniques.

Serais-je moi aussi « une » imposteur, nom masculin dans le dictionnaire, mais qui se décline tellement trop souvent au féminin ! Voilà un sentiment qui m’a habitée longtemps, et que je ressens encore maintenant. Ce sentiment, donc, celui de tant de femmes et d’hommes, de femmes plus que d’hommes. Car devant un poste convoité, les hommes diront : pourquoi pas moi, et les femmes : pourquoi moi ?

Et c’est ce qu’Isabelle a affirmé, implicitement, par la référence au sentiment d’imposture. La question doit se poser : pourquoi tant de femmes la ressentent-elles, cette foutue imposture ?

En échangeant avec Rose-Marie Charest sur ce sujet (Rose-Marie est pour moi l’une des meilleures vulgarisatrices de la psychologie au Québec), on s’est dit que les siècles de pouvoir exercés par les hommes ont laissé quelques traces profondes dans la psyché féminine. Les femmes ressentent le besoin de se justifier d’occuper une place d’influence en dehors des rôles maternels et familiaux, et compensent en étant hyper performantes.

Tentons d’inverser l’équation. L’imposture est-elle d’occuper une fonction pour laquelle on craint de ne pas être suffisamment compétente ou ne pourrait-on pas proposer le contraire, à savoir que la vraie imposture résiderait dans le fait d’exercer ladite fonction avec le sentiment que ce poste nous revient de droit et qu’il est fait pour nous ?

La vraie imposture ne serait-elle pas plutôt du côté de ceux et celles qui finissent par se prendre pour la fonction, plutôt que ceux et celles qui acceptent d’occuper la fonction, avec leurs forces et leurs faiblesses ?

Plus j’ai occupé des postes de responsabilité, de gestion complexe ou de visibilité, plus j’ai côtoyé ces deux types de personnes. Les vrais imposteurs ne seraient donc pas ceux et celles qui craignent de l’être, mais ceux qui ne doutent jamais de leurs compétences et de leurs savoirs.

Rose-Marie Charest propose l’image des poupées gigognes. La fonction qu’on occupe serait la plus grosse poupée, la plus visible, l’enveloppe extérieure. Mais la plus petite poupée, bien tapie sous la plus grosse, est peut-être minuscule et invisible, mais elle contient toutes les complexités, les forces et les faiblesses, les angoisses et les tourments, conscients et inconscients, de ce qui nous a construit, pour le meilleur et pour le pire.

Ainsi, un décalage trop grand entre l’assurance factice ou la fronde de la partie la plus apparente et l’angoisse intérieure vécue au fond de nous peut générer un déséquilibre inconfortable, ou même toxique. La fonction qu’on occupe, c’est une signature, mais au départ, elle est neutre. Elle se résume à une offre d’emploi rationnelle et descriptive. La personne qui l’occupe y met ce qu’elle veut, ce qu’elle est vraiment et authentiquement, ou au contraire, ce qu’elle n’est pas. Le sentiment d’imposture peut être là, entre l’extérieur et l’intérieur, et il ne devrait pas être l’apanage des femmes plus que des hommes !

Les femmes dites accomplies sont trop souvent habitées par un sournois sentiment de culpabilité, très complémentaire à celui d’imposture : méritons-nous ce que nous avons, une vie intéressante, pleine et enrichissante ? Comment concilier cette réussite avec la culpabilité qui nous guette toujours du coin de son œil sévère, avec le besoin d’être parfaites en tout, de ne jamais trébucher ? Pourquoi ne pas nous contenter d’être « suffisamment bonnes » et d’exercer un pouvoir imparfait ?

Mieux vaut l’imperfection qui nous ressemble à une image factice maladroitement composée qui ne nous convient que très peu.

L’un des meilleurs remèdes au sentiment d’imposture est peut-être celui de vieillir, d’accumuler assez d’expérience et de connaissance de soi pour se dire qu’on n’usurpe pas notre rôle, qu’on ne fera pas pire que les autres. C’est aussi le moment de se donner le droit de se tromper. Je cite Rose-Marie : « Le plus grand cadeau que la vie nous fait en vieillissant, c’est de développer la conviction qu’être imparfait, ce n’est pas grave. Qu’être suffisamment bonne, c’est correct, c’est assez ». Mais combien de fonctions, d’années d’expérience doit-on cumuler pour avoir cette certitude ?

Beaucoup trop !

Donc, accepter de relever de nouveaux défis, ce n’est pas se prendre pour une autre, c’est peut-être accepter que nous ayons le droit d’être cette autre et de l’incarner au meilleur de nos connaissances et talents. Chère Isabelle, rassurez-vous ! Vous avez le droit d’occuper ce nouveau poste et de croire en vos talents ! C’est même Ricardo qui vous le dit !

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES LA PRESSE

Isabelle Deschamps Plante durant une entrevue avec Alexandre Pratt, plus tôt cet été, dans le quartier Saint Henri

Pour ma part, si j’accepte de réfléchir à voix haute, c’est pour tenter d’apporter humblement mon éclairage de femme, de mère, d’ex-psychologue et psychothérapeute, d’enseignante universitaire, de fonctionnaire, de députée et de ministre. Mais je me sentirai toujours un peu dans l’imposture, comme si ma petite voix intérieure me soufflait à répétition « pourquoi moi ? ».

Enfin, j’aime penser que mesdames, vous qui ressentez trop souvent ce sentiment, n’êtes pas des « imposteures », tant et aussi longtemps que vous vous inquiéterez d’en être une.

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