Dans le sanctuaire de l’enseignement supérieur, une ombre inquiétante se profile à l’horizon : la « zone rouge ».

Derrière ce terme énigmatique se cache une réalité troublante qui s’étend d’août à novembre, une période d’à peine quelques semaines où survient pourtant la moitié des évènements de violence sexuelle sur les campus universitaires.

Au Canada, 9 victimes d’agression sexuelle sur 10 sont des filles ou des femmes. Au Québec, les femmes âgées de 18 à 24 ans connaissent les taux les plus élevés d’agression sexuelle parmi la population adulte. Notamment, les femmes aux études collégiales et universitaires sont trois fois plus à risque de subir de la violence sexuelle que les femmes de la population générale. Au Canada, une étudiante universitaire sur quatre a signalé être survivante d’agression sexuelle1.

Lorsque nous donnons des formations en matière de prévention des agressions sexuelles, nous interrogeons fréquemment les participants sur les images qui leur viennent à l’esprit lorsqu’ils pensent à une agression sexuelle. Beaucoup ont tendance à imaginer un agresseur surgissant des buissons pour attaquer violemment une personne marchant seule la nuit. Cependant, de telles situations sont rares. Les agresseurs ne sont pas des individus inconnus ; le plus souvent, ce sont des personnes que les victimes connaissent – quelqu’un avec qui elles suivent des cours, quelqu’un rencontré récemment lors d’une fête, voire leur partenaire intime.

En effet, plus de 80 % des agressions sexuelles qui se produisent sur les campus universitaires sont commis par une personne connue de la victime-survivante, et environ la moitié de ces évènements se produisent lors de rencontres sociales ou de rendez-vous amoureux.

En tant qu’anciennes étudiantes devenues chercheuses engagées dans ce domaine, nous portons le fardeau à la fois personnel et professionnel de révéler la réalité brutale qui sévit au sein des communautés universitaires chaque année. De nombreuses étudiantes nous font aussi part des expériences d’agressions sexuelles qu’elles ont vécues, tout juste à leur rentrée universitaire.

Les premiers mois à l’université sont une période critique dans le développement des nouveaux étudiants. Ceux-ci sont plus vulnérables, car le sentiment d’intégration est fort et les dynamiques de pouvoir sont malheureusement trop exploitées. Il ne s’agit également pas d’un problème isolé, qui ne concernerait qu’une seule université, mais d’une question bien plus étendue. La manière dont nous pouvons faciliter en toute sécurité l’intégration des nouveaux étudiants dans la communauté universitaire constitue un défi majeur et devrait être une priorité pour tous.

Quelles approches devraient être privilégiées ?

Se limiter à conseiller aux étudiants de surveiller leurs verres lors de fêtes ne constitue pas une solution adéquate, car cela ne s’attaque pas à la racine du problème. Les agressions sexuelles ne surviennent pas simplement en raison de la consommation d’alcool à l’université, de même qu’elles ne sont pas commises en fonction de ce que quelqu’un porte. Les agressions sexuelles existent parce que les agresseurs cherchent à exercer leur pouvoir et leur domination sur autrui à travers des actes sexuels. Au lieu d’enseigner aux étudiants comment éviter d’être victimes d’agression sexuelle, notre objectif devrait être d’éduquer les agresseurs potentiels à ne pas commettre de tels actes.

Une deuxième problématique réside dans le manque d’importance qu’accordent les établissements d’enseignement aux agressions sexuelles, alors qu’il s’agit de crimes reconnus par le Code criminel du Canada.

Cette minimisation des agressions sexuelles est souvent renforcée par une culture de tolérance et de banalisation, ce qui entrave la prise de mesures efficaces pour lutter contre ce fléau persistant.

Par exemple, en cas de plagiat dans le cadre d’études supérieures, une trace permanente de cette infraction apparaîtra dans le dossier de l’individu en question, et ce, indéfiniment. Autrement dit, si cette personne décide de poursuivre ses études dans un autre établissement, cette infraction restera inscrite dans son historique. Malheureusement, le même niveau de transparence et de suivi n’est pas appliqué en cas d’agression sexuelle.

Plus préoccupant encore, dans la plupart des cas, même avec les politiques mises en place, les survivants se voient souvent contraints de poursuivre leurs études au sein du même établissement et dans les mêmes cours que leur agresseur, en raison du peu ou de l’absence d’actions prises à leur égard.

Finalement, il est crucial de rappeler que la persistance du problème des agressions sexuelles sur les campus universitaires en 2023 découle de plusieurs facteurs. Parmi ces facteurs, nous pouvons citer la perpétuation de mythes préjudiciables qui culpabilisent les victimes, la normalisation culturelle d’attitudes sexistes, les comportements institutionnels, la méconnaissance des lois sur le consentement, l’insuffisance des programmes de prévention dans les établissements, ainsi que l’absence de mécanismes clairs pour réagir aux agressions sexuelles.

Il est impératif que chacun d’entre nous examine attentivement ses propres paroles et actions, que ce soit dans le cadre professionnel ou personnel, car cela entrave malheureusement tout progrès vers le changement nécessaire pour mettre fin à ce problème persistant.

Finalement, la contribution des étudiants doit occuper une place centrale dans l’élaboration des recommandations et des plans d’action, même s’il faut éviter de leur imposer un fardeau excessif. Trouver cet équilibre peut être un défi de taille, mais c’est essentiel.

1. Lisez le relevé de l’Institut national de santé publique du Québec sur les agressions sexuelles Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue