Que dire à propos de Traitor quand, pour apprécier ce thriller, il faut en savoir le moins possible sur l'intrigue? Les réponses de ses têtes d'affiche, Don Cheadle et Guy Pierce, et de son scénariste-réalisateur, Jeffrey Nachmanoff.

Traitor est un film dont il est extrêmement difficile de parler. Rencontré la semaine dernière à New York, le comédien Don Cheadle, qui y tient le rôle principal et agit aussi comme producteur exécutif, le reconnaît d'emblée: «Vous ne voulez pas révéler l'intrigue mais... vous devez montrer qu'il y a une intrigue», fait-il avant d'admettre que la bande annonce du long métrage en dit déjà trop selon lui.

Avis à ceux qui veulent se garder la surprise.

Disons très succinctement que le film écrit et réalisé par Jeffrey Nachmanoff (scénariste de The Day After Tomorrow) suit un ancien agent des services secrets américains, Samir Horn (Don Cheadle, vu dans Hotel Rwanda), qui fraie maintenant avec des terroristes. À ses trousses, l'agent du FBI Roy Clayton (Guy Pearce, vu dans Memento). Le premier est fils d'un Soudanais et d'une Américaine, noir et musulman. Le deuxième est fils d'un pasteur du sud des États-Unis, blanc et chrétien. Leur jeu de chat et de souris sur un air de «Qui dit vrai?» va se dérouler sur trois continents et dans 17 villes.

Bref, Traitor est un suspense d'espionnage sur fond de terrorisme dont la fameuse intrigue - et sa finale, vraiment surprenante - a été imaginée par Steve Martin. LE Steve Martin. Celui de The Pink Panther et autres Bringing Down the House. «Et si vous le connaissiez, ça ne vous étonnerait pas, assure Jeffrey Nachmanoff. Il collabore au New Yorker, il a écrit des pièces de théâtre et des romans, il est considéré comme l'un des grands collectionneurs d'art du monde, il a un doctorat en philosophie. Je vous assure, c'est un penseur très raffiné.»

Au départ, celui-ci n'avait été engagé que pour écrire le scénario à partir des quelques pages contenant l'idée de Steve Martin. C'est-à-dire, trouver comment se rendre à la fameuse finale. Pas une mince affaire. D'abord, beaucoup de recherche et de lecture au sujet de l'explosive situation mondiale. Puis, sur la psychologie de ceux qui sont plongés dans l'action, tant du côté des agences américaines que des terroristes.

«Ces derniers sont-ils tous des fanatiques et des sociopathes? Se pourrait-il que parmi eux, il se trouve aussi des gens vivant dans une société qui ne les écoute pas, dans laquelle ils n'ont pas de place et qui sont alors séduit pas une «idée»?» demande le scénariste qui, à partir de cela, a modelé les personnages principaux de Traitor qu'il en est finalement venu à diriger, puisqu'il a réussi à vendre aux producteurs l'idée de réaliser le film. Il pouvait, les a-t-il assurés, le boucler avec un budget de film indépendant. Comprendre, bien en-deçà de 100 millions. Malgré les déplacements de pays en pays, de ville en ville, les explosions et autres impératifs allant de pair avec ce type de long métrage.

Don Cheadle est, quant à lui, arrivé très tôt dans le décor. Il a lu une des premières versions du scénario. A aimé. «Quand le script est arrivé sur mon bureau, on entendait beaucoup parler, aux nouvelles, de sécurité, de Guantánamo, du Patriot Act. On posait la question «Jusqu'où peut-on aller pour assurer notre sécurité?» Or, ces questions sont celles que se pose Samir et il se trouve qu'elles m'intéressent. »

Samir, donc, écartelé entre son devoir envers son pays et envers sa foi. Ou plutôt entre ce qu'il croit être son devoir envers son pays et envers sa foi. Déchiré à force de se demander sur les épaules de qui, au bout du compte, retombe la responsabilité des actes posés au nom de l'un ou de l'autre? Tourmenté par les conséquences de ses actions, hanté par les victimes, les dommages collatéraux : en quelle quantité sont-elles, sont-ils «acceptables»?

Traitor joue dans ces eaux troubles, dans ces nuances, dans ces tensions. «C'est pour cela que j'ai aimé d'emblée le scénario, et pas seulement mon personnage», note Guy Pearce. Qui, pour incarner l'agent Clayton, a dû troquer son accent australien pour celui du sud des États-Unis, alors que Don Cheadle, lui, apprenait à s'exprimer en arabe.

Outre le scénario, les deux comédiens ont d'ailleurs accepté l'aventure de Traitor pour avoir le plaisir de jouer l'un avec l'autre. «Mais nous n'avons que deux ou trois scènes ensemble. On se retrouvait le soir, à l'hôtel, et on se demandait mutuellement: «Comment va ton' film?»», fait Don Cheadle.

Un film (ou deux ?) tourné assez rapidement, 48 jours, et avec un budget relativement modeste. Selon Guy Pearce, c'était le seul moyen de faire ce long métrage. Les majors, croit-il, n'auraient pas accepté le projet: «Pas pour des raisons idéologiques ou racistes, mais simplement économiques. Ils investissent énormément d'argent et ont peur d'en perdre. Ils auraient eu cette crainte avec un film dont le personnage principal est un noir musulman. En fait, dans leurs mains, je pense que le scénario aurait été réaménagé et que j'aurais été le personnage central. Mais je ne sais pas si, alors, j'aurais été intéressé par le projet », conclut celui que l'on voit surtout dans des films indépendants.

«Les gros studios font aussi des films formidables auxquels je voudrais participer mais ils ne me les offrent pas. Ils les proposent à Johnny Depp et à Brad Pitt, qui sont sur leurs listes où, semble-t-il, je ne suis pas», conclut-il, un (charmant) sourire en coin.

Traitor est actuellement à l'affiche, en anglais seulement. Les frais de voyage de ce reportage ont été payés par Alliance Atlantis (Overture).