Pendant trois ans, Luc Bourdon s'est tapé des kilomètres de pellicule et des heures de visionnement d'archives de l'Office national du film pour construire La mémoire des anges. Comme dans la chanson de Chloé Sainte-Marie, «des vraies vues, des vraies vues comme on en voit plus»... Tout cela pour aboutir à une «bibitte étrange, ni documentaire ni fiction, plutôt un essai hybride» rendant hommage au Montréal des années 50 et 60.

L'artiste, figure importante de l'art vidéographique au pays, a fouillé dans 120 films de l'ONF, mais le plus souvent dans les «chutes» (extraits coupés au montage) afin de mettre la main sur les plans les plus significatifs, étroitement liés à la cité de Maisonneuve. Bourdon et le monteur Michel Giroux ont bûché fort pour construire cette fresque de la vie quotidienne, d'autant plus qu'ils ont été forcés de mettre la hache dans une production qui faisait trois heures au départ, pour la ramener à 80 minutes.

«C'est un film fait en mode expérimental, mais ce n'est pas un film expérimental, laisse tomber Luc Bourdon. C'est un peu comme prendre 200 boîtes de puzzle, les virer à l'envers et tout reconstruire. Le scénario s'est en quelque sorte écrit en cours de montage. On s'est rendu compte qu'il y avait assez de matière pour faire un film avec tout ce qu'on avait rafistolé.»

 

 

Véritable machine à voyager dans le temps, La mémoire des anges aligne des séquences inédites laissées en plan par les réalisateurs de l'époque, autant de parcelles qui brossent un riche portrait de Montréal, à travers ses habitants, des quidams pour la plupart, et ses têtes plus connues (Dominique Michel, Tex Lecor, Raymond Lévesque...). Des moments de la vie quotidienne revivent sous nos yeux, que ce soit le magasinage des Fêtes sur Sainte-Catherine, un match du Canadien au vieux Forum, ou les funérailles civiques d'un pompier mort en devoir (la scène préférée du vidéaste).

 

Pas de films trop connus

 

Luc Bourdon ne voulait pas piger dans des oeuvres trop connues du cinéma québécois, histoire de conserver une approche originale et inédite. «On voulait faire quelque chose de nouveau, et non pas un film d'anthologie ou the best of du cinéma québécois, plutôt une sorte de portrait improvisé du Montréal des années 50 et 60, en chansons, en musique et en sons. Il était plus intéressant de conserver Chantons maintenant, de Claude Jutra, que La vie heureuse de Léopold Z, de Gilles Carle. On a pris des plans de déneigement de ce film, mais on ne voulait pas avoir Guy L'Écuyer (la vedette du film).»

 

La musique occupant une part importante du film, les négociations sur les droits d'auteur ont accaparé les producteurs et le service juridique de l'ONF. Les extraits musicaux vont d'Igor Stravinsky (La symphonie des psaumes) à Willie Lamothe (Chérie tu me demandes si je t'aime), en passant par Oscar Peterson, Tex Lecor et Paul Anka.

 

Toutes les négociations ont été réglées avant que Luc Bourdon se mette au travail. «On ne voulait pas être obligés de couper parce qu'on ne voulait pas payer. Certains auteurs ont demandé de fortes sommes au départ, mais comme dans toute bonne négociation, ça s'est réglé.»