Dans Indigènes, Jamel Debbouze affichait déjà un réel talent dramatique. Dans Parlez-moi de la pluie, il explore de nouveau cette veine en se glissant dans la peau d'un jeune homme qui doit subir le petit racisme quotidien, ordinaire. L'acteur-humoriste ne connaît que trop bien. Même aujourd'hui...

Était-ce la grisaille de l'hiver? Était-ce le conflit israélo-palestinien qui faisait rage au point de sombrer dans l'innommable? Était-ce à cause de l'un des thèmes sous-jacents du nouveau film d'Agnès Jaoui où il tient l'un des rôles principaux? Était-ce un peu tout cela à la fois? Toujours est-il que Jamel Debbouze était à fleur de peau au moment où, c'était en janvier à Paris, il a accordé une entrevue à quelques journalistes québécois. D'autant plus qu'il venait de mettre tous ses efforts, en collaboration avec les autorités marocaines, pour affréter un avion sanitaire afin de venir en aide à la population de Gaza.

«Cela n'a rien de politique. Il s'agit d'une action humanitaire. Mais dès que l'on fait quelque chose pour venir en aide à des gens qui en ont besoin, il faut toujours se justifier. Dès qu'on évoque ce conflit, le moindre geste prend une connotation politique», déplorait-il alors.

Une forte résonance

L'artiste français, l'un des plus populaires de l'Hexagone, est l'une des têtes d'affiche de Parlez-moi de la pluie, le troisième long métrage d'Agnès Jaoui. La réalisatrice du Goût des autres et de Comme une image, qui a écrit le scénario en compagnie de son complice Jean-Pierre Bacri, propose une autre comédie dramatique, d'une tonalité toutefois différente.

Féminisme et racisme sont les deux thèmes principaux émanant d'une histoire dont le récit s'articule autour de la venue, dans la région où elle a grandi, d'une femme nouvellement engagée dans la politique. Agathe (Jaoui) a tout fait pour quitter la province le plus tôt possible mais les aléas de la vie - elle est parachutée dans sa circonscription natale à la faveur des prochaines échéances électorales - font en sorte qu'elle retrouve un endroit qui, visiblement, ne lui a pas laissé que de bons souvenirs.

Faisant l'objet d'un documentaire produit dans le cadre d'une collection sur «les femmes qui ont réussi», Agathe doit ainsi passer de longs moments en compagnie d'un réalisateur maladroit (Jean-Pierre Bacri) et de son assistant, Karim (Debbouze). Personnage à la fois sombre et lumineux, Karim est le fils de la femme de ménage que la famille de la politicienne a ramenée d'Algérie à l'époque de la guerre d'indépendance. Il fait partie de cette génération de Français d'origine maghrébine qui se sent parfois - et peut-être même toujours - apatride. Jamel Debbouze reconnaît bien ce sentiment.

Le film est d'ailleurs né de conversations qu'a souvent eues l'acteur avec le tandem Jaoui-Bacri, des amis intimes. «Quand j'ai rendez-vous pour dîner avec eux au restaurant et que j'arrive avec 15 minutes de retard parce que je me suis fait contrôler par les flics, Agnès et Jean-Pierre sont les seuls à ne pas rire, explique-t-il. Parce qu'ils savent très bien que cela arrive trop souvent.»

Malgré sa notoriété, malgré sa fortune, malgré son talent, Jamel Debbouze est encore victime de ces réflexes issus du petit racisme ordinaire. Lequel s'exprime encore de façon quotidienne.

«Le pire, c'est qu'on s'y habitue, laisse-t-il tomber. C'est ça qui est dramatique. Le racisme frontal à la Le Pen n'est pas dangereux. C'est plutôt l'autre, plus pernicieux, invisible, le petit racisme, qui nourrit toutes les petites humiliations. Je suis l'un des Arabes les mieux lotis en France. Cela n'a pas empêché un vieux monsieur de me bousculer dans un train alors que je tentais de lui laisser de l'espace pendant qu'il entrait avec sa valise. D'emblée, il se sentait supérieur. Bien sûr, l'attitude de ces gens-là change dès qu'ils me reconnaissent - les flics c'est pareil - mais les vieux réflexes sont encore bien présents.»

Les choses évoluent, estime quand même l'acteur. Tranquillement, les mentalités changent. Les victoires des Bleus en Coupe du monde et au Championnat d'Europe - avec Zidane en tête - ont selon lui fait franchir une étape à ses compatriotes. L'arrivée d'Obama à la tête du monde libre contribuera aussi à faire avancer les choses.

Le mépris

L'acteur s'est ainsi facilement investi dans le projet de nouveau film qu'ont élaboré ses amis. Surtout que ces derniers tenaient justement à aborder la question du mépris dans la société. Et la façon dont il s'exprime, tant envers les femmes de pouvoir qu'envers les «minorités visibles».

«Agnès et Jean-Pierre ont cette force que possèdent tous les grands duos créatifs, commente l'acteur. En plus, ils ont envie de traiter des thèmes délicats de manière viscérale, par le truchement de très beaux personnages.»

Toujours très pris par son Jamel Comedy Club, qui était notamment venu s'installer au Festival Juste pour rire l'an dernier, Jamel Debbouze devrait en principe tourner bientôt dans un film à caractère historique qui traiterait de la fondation du Front de libération nationale en Algérie. Peu de détails de ce projet sont connus pour l'instant.

«Ce n'est pas tant que je tiens à traiter de politique, mais il y a parfois des sujets qui s'imposent. Cela dit, le geste le plus significatif qu'on puisse faire en cette matière est encore d'aller voter!»

Parlez-moi de la pluie prend l'affiche le 10 avril. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.