J'ose le dire: la meilleure musique entendue dans L'enfant prodige, le film sur André Mathieu, est celle de Mahler et de Rachmaninov. Ces quelques minutes, englouties dans un déluge sonore totalisant plus d'une heure et demie, confirment - comme si la chose était nécessaire! - la position de ces deux géants dans l'univers musical.

Cette position n'a jamais été et ne sera certainement jamais celle d'André Mathieu, malgré les efforts surhumains déployés par ceux qui croient en ce qu'ils appellent «son génie». Le fait d'avoir remporté à 12 ans le Concours de composition du Philharmonique de New York avec un Concertino no 2 qui s'écoute pourtant très bien a-t-il valu à Mathieu la reconnaissance universelle? Hélas! non.

L'expérience du film risque de troubler les esprits. En soi, il s'agit d'un film très beau et souvent bouleversant où la musique de Mathieu est magnifiée par le jeu pianistique extrêmement virtuose et convaincu d'Alain Lefèvre, le somptueux habillement orchestral (en partie signé Gilles Bellemare), les auditoires passant de l'ébahissement au quasi-délire, le décor même des salles de concert de l'époque et l'extraordinaire puissance du surround sound qui véhicule tous ces éléments.

Mais qu'y a-t-il, au départ? Peu de chose, en vérité. De tout ce qu'on nous jette là au visage et aux oreilles sous la signature d'André Mathieu, je ne retiens que les quelques mesures du fameux thème du Concerto de Québec, immortalisé par un autre film, La Forteresse, tourné dans la Vieille Capitale en 1947. Jusqu'à preuve du contraire, cette mélodie bien ancrée dans nos mémoires depuis plus d'un demi-siècle constitue le seul thème digne de ce nom qui soit sorti de la plume d'André Mathieu, encore qu'il sonne très Rachmaninov, ce thème!

Le reste se ramène à d'interminables montées et descentes d'octaves, à des kyrielles d'arpèges, de trilles et de trémolos, à des développements qui ne mènent nulle part, tout cela sur un ton d'improvisation tour à tour grandiloquent, sentimental, rêveur, naïf, tapageur et finalement plutôt vide.

Je ne dis pas que cette musique est sans valeur. Elle n'est pas vraiment ennuyeuse et elle a sa fonction, qui est de plaire à un vaste public. Mais si Mathieu est, pour cela, un génie, alors il faut inventer un nouveau mot pour Bach. Et Mozart. Et Beethoven. Et quelques autres.

Pour d'évidentes raisons d'ordre budgétaire, les séquences avec orchestre ont été tournées en Bulgarie et sont censées représenter des concerts donnés par Mathieu à Paris et à New York. Ce qui explique l'étrange ressemblance, ici, entre musiciens «français» et musiciens «américains» ...

Concernant le tout premier récital de Mathieu, le 25 février 1935, à 6 ans, au Ritz-Carlton de la rue Sherbrooke, je signale la touchante reconstitution de la salle de bal qui servait aussi de salle de concert - à une différence près. Les concerts se donnaient devant un parterre de petites chaises. Il n'y avait pas de tables et on ne fumait pas par-dessus la musique. C'est beaucoup plus tard que le Ritz transforma le lieu en salle à manger.

Une autre précision. Le dossier de presse du film indique «Trame sonore disponible sur Analekta» et le double CD Analekta en question (AN 29 284-5) annonce «Bande originale du film». Il faudrait s'entendre sur les termes. Dans le film, c'est l'Orchestre Symphonique Bulgare qu'on entend, alors qu'Analekta a simplement rassemblé des extraits d'enregistrements déjà parus sur lesquels Lefèvre joue Mathieu avec des orchestres comme l'OSM et l'OSQ.