Des stars, du chic, du décorum, des fêtes éclairant la nuit de tous leurs feux. Mais pas seulement. Cannes est aussi un point de convergence vers lequel se tourne le monde pour prendre de ses nouvelles.

 

>>> Voyez la vidéo de Marc Cassivi et Marc-André Lussier à Cannes

 

On dit souvent que le plus prestigieux festival de cinéma du monde souffre de schizophrénie permanente. D'un côté, on déroule le grand tapis rouge pour accueillir avec panache les plus grandes stars gravitant autour de la planète cinéma. De l'autre, on sélectionne des oeuvres dignes de satisfaire les exigences du cinéphile le plus radical. Avec, souvent, des thèmes difficiles, durs, qui font écho aux plus sombres douleurs de l'humanité. Nulle part ailleurs au monde le contraste n'est-il plus fort qu'ici. Et aussi savamment orchestré.

À cet égard, le 64e Festival de Cannes, sur lequel veille le beau regard de Faye Dunaway (grâce à une photo magnifique de Jerzy Schatzberg), s'annonce de très belle tenue. Contrairement à l'an dernier, où la sélection plus «austère» (lire «sans beaucoup de grands noms») avait été passablement critiquée, la presse française et internationale s'amène aujourd'hui sur la Croisette avec l'humeur des beaux jours. Peut-être même aussi avec un sentiment de bienveillance, même s'il ne faut quand même présumer de rien. À Cannes, la presse reste très exigeante. Et féroce.

Depuis l'annonce du programme, faite par le délégué général Thierry Frémaux, les échos sont pourtant de nature favorable. D'autant plus que plusieurs pointures se retrouvent cette année en lice pour la Palme d'or. Pedro Almodóvar, Terrence Malick, Jean-Pierre et Luc Dardenne, Lars von Trier, Nanni Moretti, Nuri Bilge Ceylan, Paolo Sorrentino, Alain Cavalier, Aki Kaurismaki, pour ne nommer qu'eux...

Enjeux politiques

Un événement célébrant un art à travers lequel se reflète la réalité du monde - et la vision que les cinéastes se font de cette réalité - ne peut toutefois faire autrement que d'être à la remorque des grands enjeux politiques et sociaux.

Tous les festivaliers présents l'an dernier se souviennent du climat de tension ayant marqué la conférence de presse du cinéaste iranien Abbas Kiarostami, venu alors avec Juliette Binoche présenter son film Copie conforme. Ce matin-là, le cinéaste n'avait même pas encore eu le temps de rappeler la femme de son ancien assistant, Jafar Panahi, qui venait de faire un appel urgent. On craignait alors le pire. Plutôt que de siéger au jury, à l'invitation du Festival, le réalisateur du Ballon blanc croupissait en prison depuis deux mois à Téhéran et avait entamé une grève de la faim.

Depuis, le sort du cinéaste, accusé de «participation à des rassemblements et de propagande contre le régime», est connu. Tout comme son collègue Mohammad Rasoulof, Jafar Panahi est sous le coup d'un processus judiciaire en Iran lui ayant valu une condamnation à six ans de prison et une interdiction de travailler de vingt ans (envers laquelle les deux cinéastes ont fait appel). Mais Panahi n'en appelle pas moins à la résistance.

Très discrètement, la direction du Festival a ainsi reçu la semaine dernière une clé USB contenant un long métrage intitulé Ceci n'est pas un film. Coréalisé par Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmasb, dans des conditions qui restent à éclaircir, ce document, présenté en séance extraordinaire le 20 mai, raconte comment, depuis des mois, Jafar Panahi est en attente du verdict de la cour d'appel. Avec cette représentation d'une journée de sa vie quotidienne, le cinéaste et son collègue proposent un aperçu de la situation actuelle du cinéma iranien. Il est à signaler qu'Au revoir, autre film «semi-clandestin» réalisé dans des conditions difficiles, par Rasoulof celui-là, a été envoyé sous forme de DVD et ajouté au programme Un certain regard.

«Le fait d'être en vie et le rêve de garder le cinéma iranien intact nous encouragent à dépasser les restrictions actuelles qui nous sont faites», a déclaré Jafar Panahi dans un message adressé au Festival le 5 mai.

Honneur à l'Égypte, mais...

Par ailleurs, une pétition circule présentement à l'intérieur du milieu artistique et culturel égyptien pour dénoncer la présence au Festival de courts métrages réalisés par d'anciens collaborateurs du régime d'Hosni Moubarak, contraint de quitter le pouvoir le 10 février après deux semaines de manifestations populaires. «Il ne faudrait pas que cet événement donne l'occasion à certains ennemis du peuple égyptien de laver leur réputation», peut-on notamment lire dans la missive.

Précisons que l'Égypte est cette année le premier pays «invité» du Festival de Cannes, qui inaugure ainsi un hommage annuel aux grandes patries du cinéma. Le programme sera lancé avec 18 jours, un collectif évoquant la récente révolution égyptienne, constitué de courts métrages tournés dans l'urgence par 10 réalisateurs, «sans budget et de manière complètement bénévole».

Non, le cinéma ne se tient pas à l'écart du monde. Au contraire, il en est partie prenante. Surtout à Cannes.