(Cannes) C’était sans contredit le film le plus attendu de cette compétition. Once Upon a Time… in Hollywood, neuvième long métrage de Quentin Tarantino, était présenté hier à Cannes, 25 ans après la Palme d’or décernée à Pulp Fiction. Le cinéaste iconoclaste, verres fumés à la Reservoir Dogs sur le nez, a été accueilli en héros sur le tapis rouge avec ses acteurs Leonardo DiCaprio, Brad Pitt et Margot Robbie.

Trois heures avant la projection du film, on se bousculait autour du Palais, en smoking et robe de soirée, en espérant obtenir une invitation. Les festivaliers accrédités faisaient déjà la file. Aucune œuvre n’a suscité autant d’enthousiasme cette année. Il faut dire que le secret entourant le film demeurait entier.

Lundi, le cinéaste a écrit un mot sur Twitter, répété sur scène avant la projection de presse hier, afin de s’assurer que son film ne soit pas divulgâché par la presse internationale. Plusieurs confrères s’en sont offusqués. Il est vrai que c’est infantilisant, mais il est aussi vrai que trop souvent, notamment à Cannes, les critiques en dévoilent trop.

PHOTO CHRISTOPHE SIMON, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le réalisateur Quentin Tarantino a salué ses admirateurs en quittant la projection de son film Once Upon a Time... in Hollywood, présenté hier dans le cadre du Festival de Cannes.

Campé à Los Angeles en 1969, Once Upon a Time… in Hollywood — titre en clin d’œil à l’un des maîtres de Tarantino, Sergio Leone — raconte l’histoire de Rick Dalton, acteur de westerns à la télé (Leonardo DiCaprio), et de Cliff Booth (Brad Pitt), le cascadeur qui lui sert de doublure.

Pitt, qui était d’Inglourious Basterds, présenté en compétition à Cannes en 2009, et DiCaprio, de la distribution de Django Unchained en 2012, sont réunis à l’écran pour la première fois par Tarantino. Et ils sont très convaincants.

Rick sent que son rêve hollywoodien lui glisse des mains et que sa carrière est sur une pente descendante lorsqu’un producteur (Al Pacino) lui propose de jouer à Cinecittà dans des westerns spaghettis. Si seulement il pouvait rencontrer ses voisins immédiats de Cielo Drive, dans les hauteurs de Los Angeles : l’actrice Sharon Tate (Margot Robbie) et son mari Roman Polanski, le réalisateur de l’heure depuis Rosemary’s Baby.

Les hippies aux relents de patchouli et de LSD traînent dans les rues de L.A. Cliff, au tempérament à la fois baba cool et fiévreux, se retrouve malgré lui dans la commune où habite le clan de Charles Manson.

La petite et la grande histoire, la vraie et la fausse, se confondent une fois de plus à travers le regard de Tarantino, qui multiplie plus que jamais les références cinématographiques, notamment à son propre cinéma. Il y a des cowboys et des chasseurs de primes comme dans The Hateful Eight, des soldats nazis comme dans Inglourious Basterds, un côté rétro série B à la Jackie Brown, des arts martiaux façon Kill Bill, etc.

Comme c’est souvent le cas chez Tarantino, il y a le film, puis le film dans le film. Le cinéaste s’égare d’ailleurs dans cette mise en abyme, éparpillé entre la trame principale et les récits parallèles.

PHOTO ALBERTO PIZZOLI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Les acteurs Margot Robbie, Leonardo DiCaprio et Brad Pitt tiennent la vedette dans Once Upon a Time... in Hollywood.

La culture populaire joue bien sûr un rôle de premier plan — la bande sonore est formidable —, mais les dialogues de Tarantino sont moins inspirés qu’à son habitude et le récit — moins déconstruit, sans les habituelles ellipses — est plus prévisible. C’est moins violent aussi. Mais lorsque la violence survient, c’est la violence cartoonesque de série B qui a fait la réputation de Tarantino.

Once Upon a Time… in Hollywood reste du Tarantino pur jus. On ne s’ennuie pas un instant, malgré les 2 h 41 min que dure le film. Magnifiquement filmé, nostalgique jusqu’à l’excès, avec des apparitions surprises à gauche et à droite (le regretté Luke Perry notamment). 

On reconnaît sans effort la grammaire cinématographique de cet autodidacte, qui a voulu recréer le Los Angeles des années 60 et 70 où il a grandi et travaillé comme commis dans un vidéoclub.

L’enfant terrible du cinéma américain (marque déposée) a reçu une première Palme d’or en 1994, des mains du président du jury Clint Eastwood. Deux ans plus tôt, il avait présenté son premier long métrage, Reservoir Dogs, en séance spéciale à Cannes, où il a été président du jury en 2004.

Once Upon a Time… in Hollywood est un nouvel hommage d’un cinéaste ultra talentueux au septième art. Une brique de qualité à ajouter à une filmographie impressionnante. Mais ce n’est pas la pierre angulaire de l’édifice. Une deuxième Palme d’or ? Pas cette fois-ci, à mon avis.

Le jour J pour Dolan

PHOTO JOEL C. RYAN, INVISION/ASSOCIATED PRESS

Le réalisateur québécois Xavier Dolan (photographié mercredi dernier) est actuellement à Cannes pour présenter son film Matthias et Maxime.

C’est aujourd’hui que Xavier Dolan présente Matthias et Maxime en compétition officielle. Après le Prix du jury décerné à Mommy en 2014 et le Grand Prix du jury obtenu par Juste la fin du monde en 2016, le cinéaste de 30 ans concourt pour la Palme d’or une troisième fois — un record québécois détenu ex aequo avec Gilles Carle —, avec ce sixième long métrage sélectionné à Cannes, toutes sections confondues.

Dolan tient pour la quatrième fois un rôle principal dans un de ses films, une première depuis Tom à la ferme, prix de la critique internationale à la Mostra de Venise en 2013. Matthias et Maxime, qu’il compare dans « le ressenti » à The Big Chill (Les copains d’abord) de Lawrence Kasdan, met en vedette Gabriel D’Almeida Freitas, Pier-Luc Funk, Samuel Gauthier, Antoine Pilon, Adib Alkhalidey et Catherine Brunet. Le film explore les relations ambiguës au sein d’un groupe d’amis, après que deux d’entre eux se sont embrassés aux fins du tournage d’un court métrage.

Peu avant son départ pour Cannes, Xavier Dolan me confiait s’être accroché à son nouveau film, qui était déjà en chantier au moment où il a présenté The Death and Life of John F. Donovan au Festival de Toronto en 2018, afin de mieux encaisser les mauvaises critiques.

« Je savais très bien ce qui s’en venait, dit-il. Je voulais avoir quelque chose à quoi me rattacher, spirituellement et artistiquement. C’est ce que Matt et Max a été pour moi. Une aventure tellement exaltante. » 

« Imagine vivre une relation fusionnelle avec un groupe de personnes sur une période de temps qui, pour certains d’entre nous, dure depuis 18 ans ! Je l’ai écrit, on l’a répété et on en a rêvé ensemble pendant des mois. C’est à la hauteur de nos attentes, et même plus. » — Xavier Dolan, à propos du tournage de Matthias et Maxime

Il ne faudrait pas pour autant confondre la réalité avec la fiction, précise le cinéaste. « Ce groupe, ce n’est pas notre groupe d’amis, dit-il. Ce n’est pas nos personnalités non plus. Ce n’est pas qui on est. Ce sont des compositions pour chacun d’entre nous. »

Il parle de cette expérience de tournage, entreprise à la fin de l’été 2018, comme « d’un rêve du début à la fin ». Il était mieux que jamais préparé à tourner. Il avait amorcé le tournage de Juste la fin du monde, à Laval, le lendemain de son retour de Cannes, où il était membre du jury en 2015. Je l’avais d’ailleurs croisé, à la fête donnée après la soirée de clôture, discutant avec le délégué général Thierry Frémaux et le président du Festival, Pierre Lescure, accompagné de son amie Catherine Brunet. Quelques heures plus tard, il était sur un plateau de tournage. « C’est fini, ça ! », dit-il.

L’étape de la préproduction de Matthias et Maxime a été mieux planifiée, ce qui lui a permis plus de liberté créatrice, une fois sur le plateau — ce que Marcel Duchamp appelait « le coefficient d’art ». « Tu es plus apte à créer librement lorsque tu es mieux préparé, constate Dolan. Je suis plus libre sur le plateau lorsque je ne me donne, en préproduction, aucune liberté. »

Aujourd’hui, à 16 h, il montera les fameuses marches du Palais des festivals, en compagnie de ses amis, avec lesquels il a très hâte de vivre une nouvelle expérience cannoise. J’y serai aussi. Je vous en reparle demain.

Voyage au Portugal avec une actrice

PHOTO GUY FERRANDIS, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Isabelle Huppert dans Frankie

Dans Frankie, présenté en compétition, une grande actrice française (Isabelle Huppert), atteinte d’une maladie incurable, rassemble ses proches à Sintra, près de Lisbonne, pour un dernier voyage en famille. Se révèlent des tensions de toutes sortes, dans les couples, les rapports fraternels pour des questions d’héritage, etc.

« Ce n’est pas un autoportrait, a précisé hier en conférence de presse la double lauréate du Prix d’interprétation féminine à Cannes. Le film est choral et le sujet, c’est comment Frankie résonne sur les gens. Le fait qu’elle soit une actrice rend le jeu troublant, comme un effet miroir entre moi et le rôle. »

L’Américain Ira Sachs a écrit le film sur mesure pour Isabelle Huppert. C’est une carte postale du Portugal qui a un arrière-goût d’europudding, avec ces personnages venus d’un peu partout — États-Unis, France, Grande-Bretagne, Irlande, Portugal (incarnés notamment par Pascal Greggory, Jérémie Renier, Marisa Tomei et Brendan Gleeson) —, parlant l’anglais avec autant d’accents différents. Les dialogues sonnent souvent faux. Cela limite forcément la fluidité du jeu, à commencer par celui d’Isabelle Huppert, coincée dans un carcan. Ce film américain indépendant, qui évoque le cinéma « à l’étranger » de Woody Allen (l’humour en moins), ne manque pas de charme, mais il semble quelque peu forcé, son idée initiale étant plus forte que le résultat final.

Aussi présenté en compétition, Parasite de Bong Joon-ho, le cinéaste de Mother, de Snowpiercer et de Okja (en compétition à Cannes en 2017). À l’instar de Quentin Tarantino, le Coréen a demandé aux festivaliers de ne pas divulgâcher les détails de l’intrigue de son film, un portrait caricatural de la société coréenne à travers deux familles aux antipodes l’une de l’autre. L’une est riche, l’autre est pauvre, l’une est naïve, l’autre, arnaqueuse. Cette version coréenne des Bougon — faute de meilleure comparaison — ne m’a guère enchanté. Ce cinéaste, manifestement, m’indiffère.