Ouverture récente du Cinéma Moderne et du Cinéma du Musée. Toujours plus de films d'auteur au Centre Phi, au Théâtre Outremont, au Beaubien et au Parc. Longévité étonnante du Cinéma Dollar et de Station Vu. Le cinéma de quartier et les petites salles oeuvrent encore à la diversité des genres. Malgré les soubresauts du septième art et des revenus souvent limités.

« Le point le plus positif avec ces nouveaux petits cinémas, c'est qu'on est en train d'expérimenter, dit Renaud Legoux, professeur agrégé en marketing à HEC Montréal. J'aime cette audace dans le paysage montréalais. » 

Une audace qui trouve son public. Ayant ouvert ses portes le 17 septembre dans le Mile End, le Cinéma Moderne, avec ses 54 places, connaît depuis ses débuts un taux de remplissage moyen de 72 %. 

Il est vrai que Roma, dans la course aux Oscars, a bien aidé cet OBNL fondé par Roxanne Sayegh, ex-directrice générale des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), et Alexandre Domingue, patron de la maison de postproduction Post-Moderne. En janvier, le taux d'occupation a même été de 87 %. Merci, Alfonso Cuarón ! 

Cela dit, le Cinéma Moderne veut durer et joue donc la diversité et la qualité pour sortir les cinéphiles de leur salon. « Les gens apprécient la qualité de nos installations, dit Roxanne Sayegh. Ce n'est pas la même chose que de voir un film à la maison. Et on est la seule salle de cinéma à Montréal où on peut prendre sa boisson alcoolisée pendant le film. »

Rareté

Ouvert depuis septembre au coeur du Musée des beaux-arts de Montréal, à l'initiative de sa directrice générale Nathalie Bondil, le Cinéma du Musée ne connaît pas un aussi bon taux de remplissage. Mais la salle a 291 sièges. Jean-François Lamarche, directeur général adjoint du Cinéma du Musée et de ses deux grands frères (Beaubien et Parc), pense que le nouveau cinéma va trouver son rythme de croisière. 

Il permet, en tout cas, de soulager les salles du Beaubien et du Parc, très occupées, dit-il, et il comble les distributeurs de films qui regrettent le manque d'écrans pour le cinéma non hollywoodien.

« La raréfaction de salles indépendantes à Montréal m'a inspirée. Nous envisageons déjà une seconde salle ! »

- Nathalie Bondil, directrice générale du Musée des beaux-arts de Montréal 

Le Centre Phi joue aussi un rôle important pour des films d'art et d'essai, notamment ceux n'ayant pas trouvé de distributeur. Et ce, depuis sept ans. En plus, il est devenu le seul diffuseur régulier montréalais de films en réalité virtuelle. Avec sept séances par jour. Et bientôt deux programmes différents. 

Le Théâtre Outremont prolonge aussi la vie des films d'auteur. Tous les lundis soir, le théâtre de l'avenue Bernard retrouve sa vocation d'antan. Au grand plaisir des résidants du quartier. « On a en moyenne 100 personnes par séance », dit Denis Simpson, son directeur général.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Roxanne Sayegh et Alexandre Domingue, 
cofondateurs du Cinéma Moderne

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Dans la salle du Cinéma du Musée, Nathalie Bondil, DG du Musée
des beaux-arts de Montréal, et Mario Fortin, PDG du Cinéma Beaubien

Des billets à 2,50 $

Étonnant, le Cinéma Dollar fête ses 15 ans sur le boulevard Décarie. Avec deux salles de 500 et 400 places, il survit avec des billets à 2,50 $ et un popcorn à 1 $ ! Comment est-ce possible ? Bernie Gurberg, le fondateur, n'a pas de réponse et assure vouloir encourager « les familles avec des films qu'elles n'ont pas pu voir lors de leur sortie ». Le cinéma, qui projette surtout des films en anglais, se finance aussi en louant ses salles, dit-il. 

Dans Mercier-Est, le cinéma de quartier Station Vu (salle de 40 places) poursuit lui aussi sa mission artistique et sociale depuis cinq ans. La coordonnatrice aux opérations, Julie-Andrée Héroux, se réjouit des subventions qu'elle reçoit et qui représentent 70 % de ses revenus.

« La SODEC [Société de développement des entreprises culturelles] tient à ce qu'on diffuse du cinéma d'ici. On doit projeter 95 % des films québécois qui prennent l'affiche. »

- Julie-Andrée Héroux

Logé dans une école de Mercier-Est, Station Vu va toutefois perdre son local en juin, la CSDM en reprenant l'usage. « On est en période de réorganisation pour survivre, dit Julie-Andrée Héroux. On regarde avec les instances municipales et gouvernementales, t PME Montréal, pour voir où on peut se relocaliser. Avec peut-être une salle plus grande. Et une acoustique adaptée. »

Viabilité

Ces espaces de diffusion indépendants sont-ils viables ? Selon Renaud Legoux, la fermeture de nombreux commerces de détail attribuable au commerce électronique libère actuellement des espaces qui rendent les expériences culturelles possibles. « Mais il n'y a pas assez d'aide publique pour encourager les initiatives », dit Roxanne Sayegh.

« Le Cinéma Moderne ne fonctionnerait pas si on était une entreprise privée. On doit donner le tiers de la billetterie au distributeur. »

- Roxanne Sayegh, cofondatrice

« Heureusement, on a une subvention du Fonds d'initiative et de rayonnement de la métropole [Québec] sur laquelle on peut compter pour plusieurs années. » 

Mme Sayegh dit regretter que la SODEC aide peu la diffusion dans les salles de cinéma, contrairement aux festivals. « Je reçois 8 % de ce que je recevais aux RIDM », dit-elle. « La subvention de la SODEC est minime, mais elle nous permet de couvrir nos frais de publicité », dit de son côté Denis Simpson, directeur général du Théâtre Outremont.

La SODEC « à l'écoute »

En entrevue téléphonique, la présidente de la SODEC, Louise Lantagne, explique que l'organisme n'a jamais « financé le fonctionnement des salles » de cinéma mais leurs programmations particulières et des activités de promotion. La SODEC pourrait augmenter prochainement les aides à la diffusion des « petits cinémas » pour en favoriser la croissance, voire pour permettre d'autres émergences. 

« On est à l'écoute, dit Mme Lantagne. On veut encourager toutes sortes d'initiatives audacieuses et créatives qui vont permettre une meilleure diffusion de notre cinématographie et des cinématographies étrangères, puisqu'on sait que 85 % des écrans sont occupés par le cinéma américain. » 

Renaud Legoux croit que le Québec a plus que jamais besoin d'innovation. « On doit aller vers ça, dit-il. On tente de faire vivre une diffusion de films avec différents modèles. On évite ainsi d'avoir une monoculture. C'est dans la diversité de la diffusion qu'on va pouvoir faire vivre les cinémas nationaux. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Bernie Gurberg, fondateur du Cinéma Dollar