C’est à la naissance de son premier enfant qu’Anh Minh Truong a compris ce qu’il voulait exprimer dans un scénario. « J’ai eu le vertige et ça a ouvert toutes les valves », raconte le cinéaste qui s’est intéressé aux rites de passage et à la vulnérabilité masculine dans son film choral Des hommes, la nuit, en salle ce vendredi. Une œuvre portée par des artisans passionnés et une communauté artistique soudée.

Devenir père a éveillé en Anh Minh Truong des émotions semblables à celles que lui ont fait vivre la fin de son secondaire et les au revoir à sa ville natale, Sherbrooke, pour aller étudier à Montréal. Il a alors constaté que ces grands vertiges surviennent à plusieurs étapes de la vie. « C’est là que j’ai eu envie de faire croiser les destins de trois personnages qui vivent une sorte de coming of age, mais à des âges différents », explique-t-il.

C’est ainsi que les histoires de Michel (Pierre Verville), qui part à la retraite, Steve (Jean-Moïse Martin), qui attend son premier enfant, et Louis (Matai Stevens), qui termine son secondaire, se sont retrouvées à se côtoyer dans un film qui se déroule le temps d’une nuit. « Dans Des hommes, la nuit, la nuit est un cocon duquel les protagonistes émergent pour devenir quelqu’un d’autre le lendemain », illustre le réalisateur, pour qui la nuit a un caractère poétique indéniable.

Quand Pierre Verville a lu le scénario d’Anh Minh Truong, il a tout de suite été charmé par l’énigmatique personnage de Michel. « Mon métier, c’est imitateur. Et à l’occasion, je joue. Pas souvent, seulement quand je sens quelque chose de fort et que j’ai l’impression de pouvoir apporter quelque chose », dit-il, ajoutant que la vision du réalisateur cadrait exactement avec son style.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Pierre Verville

J’aime avoir du temps, et que la personne avec qui je travaille sache exactement où elle s’en va.

Pierre Verville

Et ça tombe bien, parce que le cinéaste sait que la force d’un film se trouve souvent dans les moindres détails. « Le cinéma pour moi, c’est de prendre le temps de creuser la forme et le jeu et ensuite d’assurer la conjugaison des deux », explique-t-il.

Un miracle signé Estrie

Des hommes, la nuit est un projet qui mijote depuis 10 ans. De l’idée à la diffusion, Anh Minh Truong a mené son long métrage à terme avec dévouement. Lorsque son scénario a abouti sur les tablettes d’une maison de production de la région de Montréal en 2019, faute de financement, le cinéaste pensait vraiment que c’était mort. « J’ai même envisagé d’en faire un roman ou une bande dessinée », dit celui qui vient du milieu des arts visuels.

C’est finalement Chasseurs films, boîte de production sherbrookoise, qui a pris le film sous son aile, à très peu de frais. « Véronique Vigneault [la productrice exécutive] a soulevé des montagnes pour ce film-là », insiste Anh Minh Truong. Alors directrice du Bureau estrien de l’audiovisuel et du multimédia (BEAM), celle-ci voulait à tout prix faire un film dans la région pour mettre de l’avant les artisans locaux et stimuler l’industrie.

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Anh Minh Truong

Et on en avait tellement besoin, de ce souffle. On dirait que l’attachement à la région a vraiment mobilisé les gens. Je suis très content de ce qu’on a réussi à faire.

Anh Minh Truong, réalisateur de Des hommes, la nuit

Une trame sonore d’ici

Une des autres grandes fiertés d’Anh Minh Truong, c’est la trame sonore entièrement québécoise de Des hommes la nuit. Derrière cette victoire, entre autres, le musicien et réalisateur Pierre-Philippe Côté, alias Pilou, acteur important du développement culturel de l’Estrie⁠1.

Non seulement ce dernier a-t-il composé la musique originale qui accompagne le film, mais il a aussi tout donné pour contacter les artistes qui signent les différentes chansons qu’Anh Minh Truong imaginait pour accompagner son film. Même si c’est naturellement que la bande sonore s’est avérée 100 % québécoise et francophone, c’est devenu un choix assumé du réalisateur, voire une bataille. « J’aurais eu une crotte sur le cœur s’il était resté une toune en anglais. J’en suis venu à tenir beaucoup à ce statement-là », nous dit-il en riant.

1. Lisez notre texte « Pilou rêve grand »