Le film Haute tension à Chinatown, présenté dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), donne un coup de projecteur sur les quartiers chinois nord-américains, dont celui de Montréal, étranglés et érodés par des vagues de développement urbain. Avec résilience, leurs résidants se débattent pour conserver l’âme de ces aires historiques.

Souvent centenaires, voire multicentenaires, les quartiers chinois fascinent et intriguent. Au-delà du vernis touristique que certains leur associent, on y trouve une communauté transmettant de génération en génération des traditions familiales, gastronomiques, culturelles et rituelles. On y trouve aussi de l’inquiétude, mise en lumière par la réalisatrice montréalaise Karen Cho, qui a glissé sa caméra derrière les façades des commerces et résidences de ces secteurs ayant souvent le statut de pierre angulaire de grandes villes.

Écumant entre autres New York, Vancouver et Montréal, elle nous relate comment des tours de béton toujours plus hautes, sous forme de condos de luxe ou d’infrastructures publiques et privées, menacent l’équilibre et l’harmonie sociale de ces zones ; et comment les communautés locales se mobilisent pour tenter de préserver leur authenticité. Dans la métropole québécoise, le Quartier chinois s’est ainsi graduellement retrouvé à l’ombre de complexes et tours de bureaux, de nouvelles constructions ayant également poussé ces dernières années. À New York, le projet d’une gigantesque prison au cœur du Chinatown a enfermé les habitants sous les verrous de l’angoisse et de la révolte.

PHOTO JOSHUA FRANK, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Les quartiers chinois nord-américains constituent le berceau de pratiques et traditions auxquelles les résidants sont très attachés. Ici, la danse du dragon exécutée par le club Hon Hsing de Vancouver.

Face à ces plans de briques et d’acier, Haute tension à Chinatown présente les membres de cette communauté en chair et en os, profondément attachés à leurs quartiers asphyxiés par des développements effrénés. Restaurateurs, commerçants, lieux de culte, célébrations traditionnelles : on découvre une foule de destinées, d’histoires familiales et personnelles, bâties et transmises au fil des générations, coiffées par le souci de préservation de l’authenticité de ce milieu de vie.

Même s’ils se démarquent par leurs caractéristiques propres (les commerces et services de celui de New York sont très développés, tandis que les boutiques touristiques ont proliféré à Montréal), les quartiers chinois nord-américains présentés dans le documentaire partagent tous la même inquiétude. « Tous font face à de grandes pressions de gentrification et d’érosion, avec des projets de condos de luxe ou gouvernementaux, comme une immense prison ou le REM à Montréal, pour lesquels il n’y a pas de consultation avec la communauté avant leur réalisation », déplore Karen Cho, dont l’arrière-grand-père s’était établi à Montréal en 1898.

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

La réalisatrice Karen Cho

Le documentaire aborde également la vague de COVID-19, qui a frappé de plein fouet une communauté déjà fragilisée, entraînant stigmatisation, vandalisme et marasme économique.

On en vient à se demander si ces quartiers survivront au XXIe siècle… Pour la réalisatrice, ils ne baisseront pas pavillon, forts d’une longévité qui s’étale parfois sur près de 200 ans, mais continueront de faire face à d’intenses assauts.

Ils survivront parce qu’il y a des liens dans la communauté et que ces lieux ont une âme pour nous.

Karen Cho, réalisatrice de Haute tension à Chinatown

Après le matériel, l’immatériel

Une portion du film aborde la bataille et la mobilisation des résidants pour obtenir des statuts de protection, notamment à Montréal, alors que l’îlot historique du quartier était convoité. Après des consultations, un plan d’action a été établi par la Ville en 2021, et le ministère de la Culture a accordé cette année le statut de noyau institutionnel historique.

« Il y a eu beaucoup d’efforts, mais ça arrive à minuit moins une. Beaucoup d’inquiétudes ont été soulevées par rapport à l’îlot historique de Wings : on s’est dit que s’il devenait des condos de luxe, le quartier serait perdu », rapporte Mme Cho, qui précise que d’autres jalons seront nécessaires.

PHOTO NAOMI MIZOGOUCHI, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Jan Lee, cofondateur du regroupement citoyen Neighbors United Against Canal, est arrêté à l’occasion d’une manifestation contre le projet d’une prison dans le Chinatown new-yorkais.

« Le statut “héritage”, c’est juste une étape, cela protège la façade d’un édifice, mais il faut des mécanismes pour protéger la culture intangible. Il y a des lieux de rassemblement très importants pour différentes générations. Si on perd ces activités et liens, cela contribue aussi à l’effacement du quartier. Il faut également des programmes pour la rétention des entreprises familiales et des commerces authentiques, que le quartier et les taxes restent abordables. »

Big Fight in Little Chinatown est présenté au Cineplex Odéon du Quartier latin, le 24 novembre à 20 h 15 (sous-titré en anglais) et au Cinéma du Parc, le 26 novembre à 13 h 15 (sous-titré en français).

Consultez la page du film sur le site des RIDM