À quelques heures de l’annonce du palmarès, personne n’était encore en mesure de prévoir dans quelle direction irait le jury, présidé par Spike Lee. Certains titres, parmi les 24 en lice pour la Palme d’or, figurent parmi les favoris de la critique, mais cela ne les assure en rien d’un laurier. Voyons voir…

Il y a plusieurs années, alors qu’il faisait partie du jury cannois, le cinéaste Patrice Leconte comparait l’exercice d’établir un palmarès dans un festival de cinéma à une réunion de copropriétaires. C’est-à-dire que tout le monde s’entendra plus facilement pour repeindre le hall d’entrée avec un ton plus neutre, beige, par exemple, plutôt que de choisir une couleur adorée des uns, mais détestée des autres. C’est la raison pour laquelle les propositions cinématographiques plus radicales obtiennent rarement la Palme d’or, sans toutefois être écartées du tableau d’honneur.

Contrairement à des cérémonies comme les Oscars, où plusieurs indices peuvent être pris en compte pour faire des pronostics, il est impossible de prédire le palmarès du Festival de Cannes. Impossible. Ne croyez surtout pas ceux qui prétendent le contraire. Les « prédictions » des spécialistes qui, sur les réseaux sociaux, ont eu vent de telle rumeur, de telle humeur d’un membre du jury, ou qui tiennent fièrement leurs infos de « source sûre », tout ça, c’est du bidon. Le seul moment où l’on peut commencer à se faire une idée de la teneur du palmarès a lieu quelques minutes avant la cérémonie, alors que des représentants des films primés se présentent sur le tapis rouge. Si un ou une cinéaste dont le film a été projeté il y a huit jours se pointe à la montée des marches, il y a de fortes chances que son film se soit fait une place quelque part au palmarès. À quel échelon ? Personne ne le sait encore.

Le jury délibère

Au moment où vous lirez ces lignes, le jury, en conclave dans un endroit tenu secret, est probablement toujours en grande discussion. Rappelons qu’autour du président Spike Lee se trouvent les actrices et réalisatrices Maggie Gyllenhaal et Mélanie Laurent, la chanteuse Mylène Farmer, les cinéastes Mati Diop, Jessica Hausner et Kleber Mendonça Filho, ainsi que les acteurs Tahar Rahim et Song Kang-ho.

Tous ont été très discrets pendant le festival et n’ont pas fait beaucoup d’apparitions publiques, contrairement à certaines années où l’on pouvait voir certains membres du jury sur le tapis rouge tous les soirs.

Un journaliste du Variety a cependant écrit sur Twitter que Spike Lee aurait eu un coup de cœur pour Red Rocket, de Sean Baker, long métrage dans lequel un ancien acteur de films pornos essaie de reprendre sa vie en main en retournant dans son Texas natal. Si cela s’avère, il n’est pas dit que Red Rocket aura la Palme. Tout est affaire de négociation et de consensus. Si, par exemple, Mylène Farmer et Mélanie Laurent adorent Titane (on peut peut-être le présumer), les chances du film choc de Julia Ducournau seront peut-être neutralisées par un ou deux autres membres du jury qui ne peuvent pas le blairer. Allez savoir.

Aucun grand favori

À cela s’ajoute le fait que la sélection 2021 était généralement de belle tenue, sans qu’aucun film ne se démarque comme un lauréat évident. Si l’on se fie aux humeurs de la critique, le très beau film Drive my Car, de Ryûsuke Hamaguchi, pourrait bien valoir au Japon une autre Palme d’or, trois ans après celle attribuée à Une affaire de famille, de Hirokazu Kore-eda.

Dans ce drame admirablement mis en scène, où le thème de la disparition trouve un magnifique écho dans le théâtre d’Anton Tchekhov, Hamaguch livre un cinéma aussi subtil que poignant, gratifié aussi d’une facture visuelle splendide.

Cela dit, d’autres productions pourraient sérieusement prétendre au laurier suprême. Parmi elles, le jury considérera sans doute Memoria, d’Apichatpong Weerasethakul (pour peu que le film fasse l’unanimité au sein du jury), et Les Olympiades, film sublime de Jacques Audiard à propos d’une génération qui se cherche.

Dans la frange supérieure de cette compétition figurent aussi Annette, de Leos Carax (la possibilité d’un prix d’interprétation pour Adam Driver est bien réelle), Julie en 12 chapitres, du Norvégien Joachim Trier (le film est loin d’avoir fait l’unanimité, mais plusieurs critiques militent en sa faveur), Compartment no. 6, du Finlandais Juho Kuosmanen, tout autant que The French Dispatch (le film de Wes Anderson a ses admirateurs) et Un héros, d’Asghar Farhadi. Certains voient même au palmarès Benedetta, de Paul Verhoeven, ainsi que Nitram, film australien de Justin Kurzel, qui, au dernier jour de la compétition, a particulièrement frappé la presse anglo-saxonne.

Quoi qu’il en soit, la cérémonie du palmarès aura lieu ce samedi à 19 h (13 h au Québec) et sera suivie de la présentation, en primeur mondiale, de OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire. Ce titre, précisons-le, a été changé pour Bons baisers d’Afrique en vue de sa sortie au Québec, le 4 août. Les journalistes pourront assister à la séance ce samedi, mais la plupart d’entre eux opteront plutôt pour les conférences de presse du jury et des lauréats, qui auront lieu pendant la projection.

Le palmarès idéal

En attendant le dévoilement du palmarès, voici la liste idéale de votre humble serviteur, en gardant bien à l’esprit la possibilité qu’aucun de ces titres ne soit retenu par le jury !

Palme d’or : Les Olympiades – Jacques Audiard

Grand Prix : Drive my Car – Ryûsuke Hamaguchi

Prix du jury : Memoria – Apichatpong Weerasethakul

Prix d’interprétation féminine : Agathe Rousselle – Titane (Julia Ducournau)

Prix d’interprétation masculine : Simon Rex – Red Rocket (Sean Baker)

Prix du scénario : Un héros – Asghar Farhadi

Prix de la mise en scène : La fièvre de Petrov – Kirill Serebrennikov