(Toronto) Avec I Am Woman, drame biographique portant sur Helen Reddy, chanteuse populaire australienne aujourd’hui tombée dans l’oubli, le TIFF affiche résolument sa volonté de mettre en valeur des œuvres réalisées par des femmes, ou dans lesquelles les femmes ont des rôles de premier plan. Il reste pourtant encore beaucoup de travail à faire pour atteindre la parité.

« Je suis femme, entends-moi rugir… Je suis forte, je suis invincible, je suis femme. » Quand la chanteuse Helen Reddy, déjà une vedette établie au début des années 70, a présenté la maquette de sa chanson I Am Woman aux bonzes de sa compagnie de disques, les réactions ne se sont pas fait attendre. Dans ce monde à la Mad Men, où les femmes étaient accueillies à grands coups de sweetheart, honey et autres clins d’œil tous plus condescendants les uns que les autres, on trouvait ce message beaucoup trop « agressif ». Au point que Jeff Wald, l’agent et mari, a dû convaincre ses distingués interlocuteurs de laisser la chanteuse australienne enregistrer quand même cette chanson, « qu’on enterrera dans un album ».

I Am Woman a pourtant vite été déterrée par des femmes qui, en 1972, ont fait de cette chanson l’hymne rassembleur du mouvement féministe de cette époque, emblématique des revendications des femmes pour le droit à l’égalité. Quand elle a reçu le Grammy de la meilleure interprète féminine l’année suivante, Helen Reddy a remercié Dieu « parce qu’ELLE rend toute chose possible ».

On ne se surprendra guère de la présence au TIFF, en primeur mondiale, du film biographique consacré à Helen Reddy, qui porte le même titre que sa chanson phare. Réalisé par Unjoo Moon, cinéaste australienne d’origine coréenne qui signe ici son premier long métrage de fiction, ce drame biographique, de facture classique, rappelle à quel point le combat des femmes pour l’égalité a été dur. Et dure encore, près de 50 ans plus tard.

« C’est incroyable de constater à quel point ce film arrive au moment où l’on sent l’importance de revendiquer à nouveau tout ce que Helen revendiquait à l’époque, faisait remarquer l’actrice Tilda Cobham-Hervey, l’interprète de Helen Reddy, hier au cours d’une conférence de presse. Beaucoup de chemin a été fait, mais il en reste encore à faire ! »

La direction du TIFF s’est donné pour mission de mettre en avant le genre et la représentation du genre dans les œuvres retenues dans sa sélection. Dans toute la programmation du festival, qui compte 333 productions, 36 % des films sélectionnés sont réalisés, coréalisés ou créés par des femmes. La parité n’est pas encore atteinte, mais ce pourcentage indique quand même une progression.

J’ai été particulièrement impressionné par les films québécois que nous avons sélectionnés. Il est important d’avoir de nouvelles voix, et celles qui nous viennent des réalisatrices québécoises sont originales et diversifiées.

Cameron Bailey, directeur artistique et codirecteur du TIFF

Rappelons que les trois longs métrages québécois francophones sélectionnés au festival sont conjugués au féminin : Il pleuvait des oiseaux, de Louise Archambault, Antigone, de Sophie Deraspe, et Kuessipan, de Myriam Verreault.

Céline Sciamma, cinéaste et militante

Avec des films comme Naissance des pieuvres, Tomboy et Bande de filles, Céline Sciamma a fait sa marque à titre de cinéaste en proposant justement un cinéma issu d’un autre regard. Le printemps dernier, l’autrice et réalisatrice s’est distinguée au Festival de Cannes grâce à Portrait de la jeune fille en feu, superbe film d’amour dont l’histoire est construite autour d’une relation entre une peintre et sa modèle, à la fin du XVIIIe siècle.

PHOTO YOHAN BONNET, AGENCE FRANCE-PRESSE

Céline Sciamma, initiatrice du collectif « 5050 en 2020 »

Céline Sciamma est aussi reconnue pour le combat qu’elle mène afin que les femmes aient une meilleure représentation dans le cinéma. Elle a en outre participé à la création du Collectif « 5050 en 2020 », lequel a produit la charte pour la parité hommes-femmes qu’ont signée la plupart des grands festivals internationaux, notamment Cannes, Sundance, Venise, Berlin et, bien entendu, Toronto. Tous se sont engagés à « rendre transparente la liste des membres des comités de sélection et programmateurs » pour « écarter toute suspicion de manque de diversité et de parité ».

Je dirais que le festival de Toronto a maximisé cette charte en rajoutant même des critères, indique la cinéaste. C’est le seul à l’avoir fait et c’est vraiment remarquable.

Céline Sciamma, initiatrice du collectif « 5050 en 2020 »

« Il faut créer des outils afin que la question soit prise au sérieux, poursuit-elle. Il ne s’agit pas simplement d’une opinion ou d’une impression. Il faut être politisés sur ces questions, mais l’on se rend compte que plusieurs festivals de cinéma internationaux sont tenus par des gens qui ne le sont pas. Or, le renouvellement de la création dépend directement de ces questions. La pauvreté de réflexion des gens qui sont en place fait peur. »

Reconnaissant les réalités locales des festivals, Céline Sciamma déplore plus précisément l’attitude des dirigeants de la Mostra de Venise qui, cette année, ont invité seulement deux réalisatrices à concourir pour le Lion d’or.

« C’est triste. On vit un moment culturel passionnant dans la civilisation actuelle, mais certains organisateurs ont du mal à le reconnaître parce qu’ils sont trop vieux, ou paresseux, qu’ils n’ont pas envie d’y réfléchir, ou parce qu’ils n’y trouvent tout simplement pas leur intérêt. C’est très déprimant. »

L’importance de mesures incitatives

La cinéaste estime importante la mise en place de mesures incitatives – comme l’ont fait Téléfilm Canada et la SODEC au Québec – afin que le talent puisse éclore de façon égalitaire.

« Certains pensent que la liberté de création peut en souffrir, mais est-on vraiment libre de créer ? demande-t-elle. C’est comme accuser les féministes d’être puritaines alors qu’au contraire, elles ont libéré la sexualité. Est-on vraiment libre de créer quand on répète toujours les mêmes images, qu’on défend toujours les mêmes conventions ? C’est comme si tout le vocabulaire d’inclusion et d’égalité était synonyme de contrainte. C’est pourtant bien le contraire ! Moi, j’ai fait un film d’amour avec de l’égalité et ça crée de nouvelles scènes, de nouveaux plaisirs. Et ça nous fait sortir des vieilles négociations. Tout un renouveau va naître de ces initiatives. »

Prix du meilleur scénario au Festival de Cannes, Portrait de la jeune fille en feu, dont les têtes d’affiche sont Adèle Haenel et Noémie Merlant, prendra l’affiche au Québec le 20 décembre. I Am Woman n’a pas encore de contrat de distribution en Amérique du Nord.

Nouvelles du TIFF

Marie-Josée Croze dans un thriller canadien

PHOTO LOÏC VENANCE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Marie-Josée Croze au Festival de Cannes en 2017

L’actrice québécoise, installée en France depuis de nombreuses années, était de passage au festival de Toronto afin d’accompagner la présentation de Clifton Hill, sélectionné dans la catégorie des « Présentations spéciales ». Réalisé par Albert Shin, dont le film précédent, In Her Place, a récolté quelques prix, ce thriller psychologique est construit autour des découvertes inquiétantes qu’une femme fait à propos d’un incident tragique ayant eu lieu dans son enfance. Marie-Josée Croze y tient un rôle secondaire, mais marquant. « J’ai tourné seulement trois jours, mais j’ai beaucoup aimé l’expérience parce que ce personnage est complètement différent de ceux qu’on m’offre habituellement, confiait l’actrice lors d’une entrevue accordée à La Presse. Comme David Cronenberg, que j’admire [le cinéaste a aussi un rôle dans le film], Albert a vraiment une signature. C’est un grand cinéaste et je suis certaine qu’il va nous offrir des choses incroyables ! » Clifton Hill sera distribué par Entract Films au Québec, mais la date de sortie n’est pas encore fixée.

Le « grand chelem » de Pedro Almodóvar

PHOTO MANUEL SILVESTRI, REUTERS

Pedro Almodóvar a reçu un Lion d’or d’honneur à la Mostra de Venise.

Ça ressemble un peu à un grand chelem. Après avoir vu son plus récent film, Dolor y gloria (Douleur et gloire), être primé à Cannes (grâce à la performance d’Antonio Banderas), Pedro Almodóvar est allé à la Mostra de Venise pour y recevoir un Lion d’or d’honneur. Son film s’est ensuite dirigé vers le festival de Telluride, où il a été présenté en primeur nord-américaine, avant d’aboutir finalement à Toronto. Au cours d’un échange avec le public tenu hier après la première projection officielle (et une longue ovation) au Ryerson Theatre, le célèbre cinéaste, accompagné d’Antonio Banderas, a raconté que ce dernier, qu’il avait déjà retrouvé en 2011 pour La peau que j’habite après 22 ans d’absence dans ses films, pouvait désormais exprimer la douleur sur son visage, à cause d’un épisode inquiétant qu’a vécu l’acteur – une attaque cardiaque – il y a quelques années. « J’ai vu Antonio comme jamais auparavant, a-t-il expliqué, et c’est probablement le film où j’ai eu le plus de facilité à le diriger. Il comprenait vraiment tout, tout de suite. Cette expérience tangible de la douleur a été importante. » De son côté, l’acteur a déclaré qu’à la suite de cet épisode – « la meilleure chose qui ait pu m’arriver ! » –, seul l’essentiel de la vie compte à ses yeux. Douleur et gloire sortira chez nous le 18 octobre.

Dix longs métrages en compétition

IMAGE FOURNIE PAR LE TIFF

Scène tirée de My Zoe, de Julie Delpy

Le TIFF est le seul grand festival international de cinéma dont la programmation n’est pas construite autour d’une compétition officielle. C’est à la fois un avantage, dans la mesure où producteurs et cinéastes ne mettent pas vraiment la carrière de leurs films en jeu, et un inconvénient, en matière de prestige. Depuis quelques années, une section compétitive, nommée Platform, a été instaurée, dans laquelle se retrouvent en majorité des cinéastes émergents. Parmi les 10 longs métrages retenus pour concourir dans cette catégorie, on remarque la présence des cinéastes françaises Alice Winocour (Maryland), avec Proxima, mettant en vedette Eva Green et Matt Dillon, et Julie Delpy, avec My Zoe, dans lequel la réalisatrice tient aussi le premier rôle.