Comment fonctionne la pensée, surtout dans les moments les plus troublants de la vie? Vaste sujet comptant toujours sa part de mystère. Mais chez Pixar/Disney, on s'est mis en tête de nous illustrer l'abc de l'esprit humain dans Inside Out (Sens dessus dessous), film dont les vedettes animées s'appellent Joie, Tristesse, Colère, Peur et Dégoût.

Dans l'esprit de Riley, 11 ans, Joie est la capitaine de ses émotions. Aux commandes du centre de contrôle de ses pensées, Joie laisse parcimonieusement de la place aux autres émotions - Peur, Colère, Tristesse et Dégoût - lorsque c'est nécessaire.

Tout va bien depuis la naissance de l'enfant. Mais au moment où elle déménage du Minnesota à San Francisco, Joie et Tristesse sont éjectées hors du centre, au grand dam des trois autres émotions qui, impuissantes, assistent au dérèglement de l'humeur de la demoiselle.

Dans un cerveau soudainement en pleine pagaille, Joie et Tristesse entament un voyage épique pour retrouver leurs pairs, traversant alors les autres parties de l'esprit de Riley: sa mémoire à long terme, ses rêves, son imagination, ses pensées abstraites. Heureusement qu'elles ont l'aide de Bing Bong, l'ami imaginaire de la fillette.

Six ans après Up (Là-haut), le tandem Pete Docter (réalisateur) et Jonas Rivera (producteur) remettent ça avec un film d'animation traitant avec originalité d'un sujet qui, somme toute, est un classique du cinéma familial: l'incontournable passage de l'enfance à l'adolescence.

M. Docter l'a souvent répété, c'est en observant sa propre fille de 11 ans changer d'humeur et devenir plus introvertie qu'il a senti l'idée du film germer en lui. «Nos émotions nous aident à composer avec la vie de tous les jours, lance Pete Docter en conférence de presse. Cela dit, ce projet fut pour moi un concept longtemps avant de se développer en une histoire.»

Au risque de verser dans les gros clichés, il est évident que chacun va retrouver, consciemment ou non, une part de lui-même dans le film. Si les parents en ressortent émus, Pete Docter va sans doute se sentir valorisé. «Rien ne m'a plus ébranlé dans la vie que cette expérience d'être parent. J'en tire encore des leçons chaque jour.»

Cinq formes, cinq couleurs

En amont du tournage, l'équipe du film a mené de longues recherches afin d'en savoir plus sur les émotions. Il n'y a pas de consensus pour en déterminer le nombre, disent MM. Docter et Rivera. Leur consultant principal, le Dr Paul Ekman, en proposait six: les cinq déjà nommées et la surprise. Ils ont laissé cette dernière sur la touche, estimant que, visuellement, elle se rapprocherait trop de la peur.

«Cinq émotions, ça constitue un beau groupe, observe Docter. Il y avait de la place pour plusieurs contrastes et plusieurs conflits.»

Après cela, il a fallu déterminer comment présenter les émotions. «Un de nos artisans nous a proposé d'avoir une forme différente pour chacune, dit Jonas Rivera: une étoile pour Joie, une larme pour Tristesse, un nerf pour Peur, une brique pour Colère et un bouquet de brocoli pour Dégoût.»

À partir de là, les couleurs allaient de soi: une larme bleue, un brocoli vert, une brique rouge, une étoile jaune doré. Le mauve a été arbitrairement attribué à la peur.

Restait la distribution. Qu'on voulait de catégorie A. Amy Poehler incarne Joie, entourée de Mindy Kaling (Dégoût), Bill Hader (Peur), Phyllis Smith (Tristesse) et Lewis Black (Colère).

En conférence de presse, le quintette nous en a fait voir... de toutes les couleurs.

«Dès que l'on m'a dit de quoi retournait l'histoire, je me suis dit que ce serait le seul bon film auquel j'aurais participé et que nous gagnerions un Oscar», a lancé Amy Poehler.

Cette dernière avait la délicate mission d'incarner une Joie exubérante sans tomber sur les nerfs de ses camarades. «Je crois avoir réussi, sinon il n'y aurait personne autour de moi en ce moment», a balancé la comédienne.

Lorsque les cinq comédiens se sont fait demander quel autre personnage ils auraient aimé incarner, à peu près tout le monde a dit Colère. «Il n'est pas toujours socialement acceptable d'être en colère. Ça doit donc être drôle d'être dans sa peau», a fait Mindy Kaling.

«Je remarque que personne ne souhaite être Joie», a glissé avec une moue Amy Poehler en regardant ses collègues.» Nouvel éclat de rire général.

Sur une note plus «songée» et plus tendre, Bill Hader a mis fin à la rencontre en faisant une profession de foi pour l'oeuvre. «Ce qu'il y a de génial avec ce film, c'est qu'il porte sur une période de la vie que nous devons tous traverser. Les choses changent; elles deviennent plus difficiles. Les films ordinaires ne parlent pas de ça. Lorsqu'on passe à l'adolescence, qu'on cherche des réponses à nos questions, on se sent seul au monde. Ce film l'illustre de merveilleuse façon.»

Inside Out (Sens dessus dessous) prend l'affiche le 19 juin.

Les frais de ce reportage ont été payés par Disney/Pixar.

Cinq émotions, dix voix

Pour les voix originales des cinq principaux personnages d'Inside Out, les artisans de Disney/Pixar ont fait appel à des comédiens de renom. Pour la version québécoise, on a encore droit à une équipe de grandes pointures avec les Charlotte Le Bon (Joie), Sonia Vachon (Tristesse), Xavier Dolan (Peur), Réal Bossé (Colère) et Édith Cochrane (Dégoût).

Nous avons demandé aux interprètes des voix originales et des voix québécoises de nous parler des personnages, des émotions et du film. Voici ce que nous avons retenu...

Joie

Alter ego de Riley, Joie sème l'optimisme et le bonheur dans l'esprit de la fillette.

Amy Poehler

«Joie est dotée d'une énergie constante. Et elle est un brin autoritaire, dit Amy Poehler. Je pense aussi qu'elle vit beaucoup dans le moment présent. J'aimerais me voir davantage comme elle.»

Charlotte Le Bon

«Ce qui est bien avec ce film, c'est qu'il n'y a pas de manichéisme. Il n'y a pas un méchant et un gentil. Le seul méchant potentiel est notre côté sombre. Et on se rend compte que nous en avons tous besoin. On a besoin de ces cinq émotions pour être complet et c'est en les acceptant et en les accueillant qu'on arrive à être des gens équilibrés. Et Dieu sait qu'il n'y en a pas beaucoup!»

Tristesse

Petit canard boiteux du groupe, Tristesse ne sait pas à quoi elle sert, et en plus, elle est gaffeuse!

Phyllis Smith

«Pete et Jonas ont réussi à faire sortir de moi toutes mes insécurités.»

Sonia Vachon

«Ce qui m'a touchée profondément est la petite fille qui, à l'intérieur de moi, s'est fait dire par le film que c'est correct de pleurer. Oui, dans la vie, des fois, c'est important de pleurer. Mais j'ai aussi beaucoup de joie. Je suis une bonne vivante! Les gens qui me connaissent savent que je peux pleurer facilement, mais qu'avec une petite farce, c'est vite passé.»

Peur

Grand patron de la sécurité, Peur évite à Riley de faire des gaffes.

Bill Hader 

Grand fan d'animation, Hader avait demandé à visiter les studios Pixar. Mis au courant de sa présence, les artisans du projet sont allés lui proposer un rôle. «Il a participé de très près à la création du personnage», dit le réalisateur Pete Docter. De son côté, Hader a blagué: «Je pense que je suis une poule mouillée.»

Xavier Dolan

«Peur est chargé de tout ce qui est anxiété, risque et danger. Mais à un moment donné, ses propres émotions prennent le dessus. Lorsque Peur, Dégoût et Colère se retrouvent seuls aux commandes de la jeune fille, ils se sentent abandonnés. Car deux émotions majeures, Tristesse et Joie, manquent à l'appel. Sans ces deux émotions, les trois autres sont un peu dans une espèce de danse chaotique où elles essaient de gérer la petite fille pour lui permettre de garder sa santé mentale.»

Colère

Colère s'assure que tout soit juste et équitable. La moutarde lui monte au nez facilement!

Lewis Black

«Les membres de ma famille se chamaillent tout le temps. C'est notre façon de démontrer notre amour. Ça fait partie de moi.» M. Black a été la première voix retenue du film, ce qu'il n'a pas manqué de souligner. «Lorsque les autres comédiens ont su que j'étais embauché, ils se sont tous précipités sur les rôles!»

Réal Bossé

«Comme parent, tu vois dans de tels films un outil pédagogique. Mon fils Léo, qui a maintenant 19 ans, a été élevé avec les films de Pixar. Et je lui ai dit que nous irions voir celui-ci ensemble. Les personnages [de Pixar] nous apprennent à gérer nos émotions. Et cette fois, c'est encore mieux parce que les émotions, on les voit.»

Dégoût

Dégoût est celle qui empêche Riley de s'empoisonner, tant physiquement que socialement.

Mindy Kaling 

«Dégout est impatiente et prompte à porter un jugement. Elle dit des choses que je lance dans mes mauvais jours ou que je me retiens de dire.»

Édith Cochrane 

«Notre travail n'est pas tant de représenter une émotion que de prêter notre voix à un personnage. Je ne suis pas sûre que j'incarne moi-même le dégoût au quotidien! Ici, le dégoût est physique, mais aussi social. Il s'exprime par la peur du jugement, de l'intégration sociale, de l'apparence, etc.»

Qui est Paul Ekman?

Titulaire d'un doctorat de l'Université Adelphi (État de New York), le psychologue Paul Ekman est reconnu comme un grand spécialiste mondial des émotions.

Il s'est particulièrement distingué avec ses recherches sur les micro-expressions faciales révélatrices de comportements non verbaux.

Professeur émérite de l'Université de Californie à San Francisco (UCSF) à la retraite, il poursuit son travail, à 81 ans, à titre de consultant privé.

En 2009, le magazine Time le classait parmi les 100 personnes les plus influentes de la planète.

Photo Paul Ekman Group

Paul Ekman