Dix ans après son lancement à San Francisco, Uber est un succès phénoménal, avec plus de 100 millions d'utilisateurs dans 60 pays. Au-delà du conflit avec l'industrie du taxi, la montée en popularité des voitures de tourisme avec chauffeur (VTC), dont Uber est le pionnier, a des impacts peu discutés : les VTC sont accusées de provoquer une hausse des déplacements en voiture en ville, de contribuer à la congestion routière et à la baisse de l'usage des transports en commun dans certaines municipalités. Anatomie d'un succès à vitesse variable.

Les voitures de tourisme avec chauffeur (VTC) déplacent leurs clients à bord d'automobiles, et qui dit automobiles dit congestion. « Les services de VTC (Uber et Lyft) ont ajouté 2,8 nouveaux kilomètres de trajets accomplis à bord de véhicules VTC sur la route pour chaque kilomètre supprimé chez les conducteurs qui auraient fait le trajet en auto solo, ce qui représente une augmentation globale de 180 % de la conduite en zone urbaine », a calculé Bruce Schaller, consultant en matière de transport.

Cet ancien sous-commissaire à la circulation et de la planification de la Ville de New York a fait porter son analyse sur les plus grandes métropoles américaines : Boston, Chicago, Los Angeles, Miami, New York, Philadelphie, San Francisco, Seattle et Washington DC.

VÉHICULES VIDES

Les usagers des services comme Uber ou Lyft ont souvent une vision tronquée de l'impact des véhicules de VTC sur la circulation, car ils ne passent souvent que quelques minutes à bord.

Photo AP

En effet, les chauffeurs de VTC passent entre 40 % et 60 % de leur temps à rouler en attente de trouver un client, ce qui contribue à une hausse de l'utilisation de la voie publique par les automobiles, note M. Schaller. Les politiques des entreprises de VTC encourageraient même cette pratique, écrivent les auteurs d'une étude préliminaire de l'Université de Chicago sur l'impact des VTC. « Les entreprises de VTC subventionnent souvent les conducteurs pour qu'ils restent sur la route, même lorsque l'utilisation est faible, afin de garantir la disponibilité rapide de l'offre », notent-ils.

POSSESSION D'UNE VOITURE

L'idée derrière les VTC était de rendre indésirable la possession d'une voiture privée, du moins en ville. Jusqu'ici, cela ne s'est pas produit. « Depuis 2011-2012, au moment où les services de VTC ont décollé, le nombre de ménages sans voiture ou de ménages avec une voiture par famille a diminué, tandis que le nombre de ménages de deux voitures ou plus a augmenté » aux États-Unis, note une analyse de la firme Schroders. Même les personnes âgées de 15 à 34 ans, la clientèle la plus assidue des VTC, n'a pas tourné le dos à l'achat de véhicules automobiles.

CLIENTÈLE ISSUE DES TRANSPORTS COLLECTIFS

Interrogés par des chercheurs américains, 60 % des utilisateurs de VTC ont dit qu'ils auraient pris les transports collectifs, marché, pris le vélo ou n'auraient pas fait le déplacement du tout s'ils n'avaient pas eu accès aux VTC.

Photo Patrick Sanfaçon, La Presse

Uber a-t-il nui à la progression des transports en commun ? Pas nécessairement. Une récente étude de l'Université de Toronto montre que l'arrivée d'Uber coïncide avec une légère hausse de l'usage des transports collectifs dans les grandes villes, et avec une diminution de l'usage dans les métropoles plus petites. À Montréal, la diminution ne semble pas avoir eu lieu : la Société de transport de Montréal (STM) estime avoir réalisé 447,7 millions de déplacements en 2018, une hausse de 4 % par rapport à 2017.

1100 MORTS SUPPLÉMENTAIRES ?

Une étude préliminaire de l'Université de Chicago conclut que les VTC ont fait augmenter le nombre de morts sur les routes de 2 à 3 % à l'échelle nationale aux États-Unis. Cela représenterait 1100 morts supplémentaires par an depuis 2011, selon les auteurs. L'étude a été contestée par d'autres experts, qui signalent que les auteurs n'ont pas tenu compte de la baisse du prix de l'essence au cours de la période étudiée, un facteur associé à une hausse du kilométrage parcouru en automobile et à une hausse des collisions. « Nous avons analysé ce rapport, et avons conclu qu'il a d'importants défauts, explique en entrevue Kayla Whaling, responsable des relations d'Uber avec les médias aux États-Unis. Des douzaines de facteurs influencent les morts sur les routes, un nombre qui varie beaucoup d'année en année. »

RÉPONSE D'UBER

Jean-Christophe de La Rue, porte-parole d'Uber Canada, note que bien des critiques d'Uber ne tiennent pas compte du fait que l'entreprise est très active le soir et la nuit, alors que les routes sont moins achalandées.

Infographie La Presse

Les critiques « ignorent les avantages significatifs en mobilité que les services de covoiturage urbain apportent aux populations à faible revenu dans les quartiers traditionnellement mal desservis. À titre d'exemple, plus de la moitié des courses d'Uber à New York ont désormais lieu dans les arrondissements à l'extérieur de Manhattan, comparativement à moins de 5 % pour les taxis jaunes traditionnels ».

M. de La Rue souligne l'impact positif d'Uber dans les banlieues des grandes régions métropolitaines. « Au fil du temps, nous avons développé notre service dans des marchés où il n'y avait pas d'autre choix que de conduire sa propre voiture, fournissant une alternative essentielle pour les personnes âgées et les autres personnes incapables de conduire. »

Enfin, la grande coupable des embouteillages est encore l'utilisation de l'automobile privée, qui ne transporte souvent que la personne qui la conduit. « Les véhicules à moteur appartenant à des particuliers complètent plus de 100 fois plus de kilomètres que les services de covoiturage urbain et de taxi réunis », dit-il.

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