Les habitués du Salon de Genève ont remarqué cette année l'absence du styliste italien Bertone. En effet, les choses vont mal au réputé studio turinois, que le syndic de faillite a repris des mains de la famille du fondateur. Une triste fin pour un carrossier dont les origines remontent à 1912, quand Giovanni Bertone a fondé, à l'âge de 28 ans, un atelier de réparation et de construction de voitures à cheval.

En 1921, Carrozzeria Bertone reçoit sa première commande de design automobile et, dès 1934, évolue sous la direction du talentueux Nuccio Bertone, qui se taille une réputation internationale. Parmi les grands noms du design qui ont pratiqué leur métier chez Bertone, citons Marcello Gandini, à qui l'on doit la divine Lamborghini Miura (1966), et Giorgetto Giugiaro, père de la Volkswagen Rabbit (1974) et de la récente Alfa Romeo Brera.

Berlinetta Aerodinamica Tecnica

Voilà pour l'histoire. Si Bertone était absent des halls du Palexpo, sa dernière création a tout de même fait sensation dans une boîte de nuit de Genève où a été dévoilée la B.A.T. 11, une descendante directe des futuristes B.A.T. 5, 7 et 9 des années 50.

La dernière Berlinetta Aerodinamica Tecnica sort des cartons de David Wilkie, directeur du design chez Bertone, et reprend les thèmes futuristes de ses ancêtres fortement inspirés par l'aviation. Les moins jeunes y verront une similitude avec des créations américaines des années 50, notamment les Firebird de General Motors: ailes proéminentes, museaux en forme d'obus et feux arrière évoquant les flammes rouges sortant de tuyères.

Si l'esthétique était le principal motif des créations américaines, les premières B.A.T. (bat signifie chauve-souris en anglais) visaient un objectif plus scientifique. En effet, Franco Scaglione, designer en chef des B.A.T., était fasciné par la science de l'aérodynamique et cherchait à l'appliquer à l'automobile. Si elles sont demeurées au stade du concept, les B.A.T. ont néanmoins profondément influé sur le design automobile, comme en témoigne Geoff Wardle, directeur de la recherche avancée en mobilité au célèbre Art Center College of Design de Pasadena, en Californie.

«Ces voitures à l'allure futuriste témoignent de grandes qualités aérodynamiques, d'une beauté sculpturale et de formes intemporelles tout à fait extraordinaires», affirme Wardle qui ajoute: «Les studios de design indépendants éprouvent beaucoup de difficultés face à l'émergence des studios maison des constructeurs. Puis, les descendants des fondateurs n'ont pas nécessairement le même talent ni la même vision.»

En souvenir de sa femme

Construite sur le châssis de la remarquable Alfa Romeo 8C Competizione, la B.A.T. 11 a été commandée par Gary Kaberle, un collectionneur américain. Selon le New York Times, c'est à l'âge de 16 ans que Kaberle a vu pour la première fois la B.A.T. 9 à l'abandon dans une concession Dodge du Michigan. On ne sait pas ce que la voiture faisait là, mais l'adolescent a réuni ses maigres économies et, avec l'aide de ses grands-parents, a acheté la B.A.T. 9. Il l'a conservée de 1963 à 1991.

En 2005, Gary Kaberle a présenté son projet de B.A.T. 11 (surnommé DK) au prestigieux concours d'élégance de Pebble Beach, dans le cadre de l'exposition des trois B.A.T. réunies, et il a réussi à convaincre Bertone d'y donner suite. «Voilà 50 ans que la B.A.T. 9 a été créée», a déclaré Kaberle. «On a connu la 5, la 7 et la 9 et maintenant, je veux créer la 11. J'ai vendu ma B.A.T. 9 car j'avais besoin d'argent pour payer les soins médicaux de ma femme, atteinte du cancer du sein. Au même moment, Scaglione a été atteint de cancer et il est décédé quelques semaines après ma femme. Je veux donc dédier cette voiture à ma femme et à la famille Scaglione. C'est pourquoi je l'ai baptisée DK, les initiales de ma femme.»

Ce spectaculaire sursaut de la maison Bertone, dévoilé en marge du Salon de Genève 2008, permettra-t-il de sauver le designer? Il faudrait un miracle. Au fait, le Vatican n'est pas si loin...