Portée par un duo d’acteurs virtuoses, la pièce Quand nous nous serons suffisamment torturés met en scène un couple uni dans une relation très perverse. L’auteur britannique Martin Crimp explore dans son texte les rapports de domination entre les individus, la brutalité du désir et l’abus du pouvoir masculin.

Disons-le d’emblée, ce texte est difficile, mais au final, ce récit est fort percutant. Le dramaturge s’est librement inspiré du livre Pamela ou la vertu récompensée, de Samuel Richardson, paru en 1740. On dit que l’ouvrage préfigurait les romans de Sade et de Laclos (Les liaisons dangereuses). Christian Lapointe nous transporte donc à travers les siècles et les styles dans sa mise en scène éclatée, esthétiquement très chargée.

À travers 12 tableaux, on voit les deux protagonistes se confronter avec brutalité, tout en demeurant liés l’un à l’autre, comme s’ils se nourrissaient de leur relation de dépendance. Les comédiens jouent à la fois pour le public et pour la caméra, qu’on déplace d’une scène à l’autre à travers le décor.

Ce duel féroce dans lequel le couple s’enfonce n’est pas dénué d’humour. Les répliques fusent sans filtre, et les rôles s’inversent parfois. Car la violence peut être une lame à deux tranchants.

Pour reprendre les mots du metteur en scène : « Crimp nous donne à voir et à entendre la violence du monde qui se vit derrière des portes closes, mais aussi au grand jour sous les yeux des passants et des complices, des collaborateurs et des clients. »

La production d’un peu plus de deux heures s’étire par moments. Sollicité par les projections, la vidéo (de Lionel Arnould et Dominique Hawry) et divers éléments scéniques, le spectacle souffre d’une direction inégale et manque parfois de cohésion.

PHOTO MATTHEW FOURNIER, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

La performance de Céline Bonnier et d’Emmanuel Schwartz est tout simplement électrisante.

Bonnier et Schwartz au sommet de leur art !

La prestation de Céline Bonnier et d’Emmanuel Schwartz est carrément électrisante. Les ruptures de ton dans le récit nous permettent de constater la virtuosité des deux acteurs, l’ampleur de leur registre de jeu. Une collègue a eu l’image de bolides de Formule 1 pour illustrer leur performance. Or, ils font aussi penser à deux stradivarius, tellement la richesse de leur instrument semble sans limites. Une mention aussi à Lise Castonguay, savoureuse dans le rôle de la servante de la maison, aussi perverse que ses maîtres.

Dans la dernière scène, celle du couple en pique-nique, Bonnier et Schwartz jouent le membre du sexe opposé. C’est un bref et grand moment de théâtre ! On réalise que la domination dans les rapports hommes-femmes n’est pas à sens unique. Car le jeu de perversion est aussi cruel que sans fin.

Quand nous nous serons suffisamment torturés

Quand nous nous serons suffisamment torturés

De Martin Crimp. Mise en scène et traduction de Christian Lapointe. Avec Céline Bonnier, Emmanuel Schwartz, Lise Castonguay et Laura Côté-Bilodeau.

Au théâtre Prospero, Jusqu’au 5 mars (complet)

7/10

Consultez le site du théâtre Prospero