(Paris) Molière, du théâtre poussiéreux d’il y a 400 ans ? Au-delà des alexandrins qu’ils trouvent « compliqués », des lycéens de la génération TikTok qui se frottent aux pièces du dramaturge le trouvent « super fun » et d’« actualité », notamment à l’ère #metoo.

Dans le studio de l’Espace Cardin à Paris, une dizaine d’élèves du prestigieux Lycée Montaigne répétaient en décembre des extraits de trois pièces de Jean-Baptiste Poquelin, pour l’anniversaire de sa naissance célébré le 15 janvier.

« Chez vous, le mariage est fâcheux et pénible et vos discours en font une image terrible », déclame Zélie Henock, 17 ans. Elle joue Agnès, l’héroïne de L’école des femmes cherchant à se libérer de l’emprise d’Arnolphe qui l’a élevée cloîtrée dans la plus grande ignorance pour faire d’elle une épouse soumise.

Rôles féminins forts

La pièce créée en 1662, dont l’objectif premier est de faire rire, est considérée comme un plaidoyer de Molière en faveur de la jeunesse, mais aussi par certains pour l’éducation des femmes.

L’œuvre « a absolument sa place » dans la société d’aujourd’hui, affirme à l’AFP Zélie qui, comme ses camarades de terminale, est inscrite en spécialité théâtre.

« La parole se libère par rapport aux violences (faites aux femmes). On est assez bien formé sur ces sujets via les réseaux sociaux et l’actualité », ajoute-t-elle.

L’adolescente retrouve des échos dans la société d’aujourd’hui où « on est presque tous confrontés d’une manière ou d’une autre à une sorte d’abus psychologique ou même physique ».

La mise en scène de Sandra Faure, une comédienne du Théâtre de la Ville qui est partenaire du lycée dans l’enseignement du théâtre, met en relief l’autorité d’Arnolphe, interprété par Samuel Dupuis, 17 ans, qui fait semblant de malmener physiquement Agnès quand il découvre qu’elle est amoureuse du jeune Horace.

Pour Samuel, les époques et les situations ont beau être différentes, « les liens se font hyper facilement avec la vie qu’on peut avoir aujourd’hui ».

Éliette Pernot, chemise blanche et pantalon noir, a choisi d’interpréter Tartuffe, face à Hannah Bendel, en robe à paillettes et talons, qui joue Elmire cherchant à convaincre son mari Orgon de l’hypocrisie du faux dévot.

Durant la célèbre scène où Elmire démasque Tartuffe qui veut la séduire, Éliette met sa tête entre les jambes de Hannah. La professeure les met à l’aise : « ça va ? je sais que c’est difficile » ; les deux filles rient et l’ambiance est bon enfant.

Hannah dit avoir été « énormément touchée » par la scène qui lui évoque les « victimes d’agressions et de harcèlement sexuel ».

Pour elle, « Molière a fait beaucoup de personnages très modernes et a imaginé des rôles qui auraient un impact tellement fort plus tard ».

Éliette souligne également que Molière est « toujours d’actualité » et que, sans aller jusqu’à dire qu’il était « féministe », elle apprécie les rôles féminins forts dans ses pièces. « Ce sont elles qui font l’intrigue et font bouger les choses ».

Les femmes chez Molière étaient d’ailleurs le fil conducteur du travail mené par Marie Basuyaux avec ses élèves depuis deux ans. « Quand l’année dernière je leur ai demandé une scénographie pour L’école des femmes, ils m’ont proposé de taguer les murs de la maison d’Arnolphe de slogans à l’image de ce que font les collectifs féministes ».

« Il faut s’y mettre ! »

Au-delà de l’écho des pièces, celles-ci les ont surtout fait beaucoup rire… une fois les alexandrins maîtrisés.

Car beaucoup de références, d’expressions et de blagues échappent aux élèves du XXIe siècle, notamment à la première lecture.

« C’est sûr que c’est du classique », mais « c’est super fun », assure Samuel qui trouve « hyper marrant tout ce qui est quiproquo et la manière de donner des répliques ».

Sa génération ne devrait pas, selon lui, « avoir de préjugés ». « Ça peut être une langue un peu compliquée, un monde un peu chiant, mais ça vaut le coup d’aller voir les pièces ! ».

Et si Zélie a pu surmonter la difficulté de la langue à travers le jeu, Éliette a adoré « parler en alexandrins ». « Bon, après, il faut s’y mettre », rit-elle.