Déboutés en première instance la semaine dernière par un juge de la Cour du Québec qui estime que fumer sur scène ne constitue pas un geste artistique, trois théâtres de la ville de Québec portent leur cause en appel.

Les représentants des théâtres La Bordée, Le Trident et Premier Acte ont par ailleurs reçu l’appui de la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, qu’ils ont rencontrée vendredi matin. Cette dernière a réitéré son intention de défendre la liberté d’expression comme elle l’avait déclaré à la suite du jugement rendu le 9 novembre.

Jointe par La Presse, Anne-Marie Olivier, directrice artistique du théâtre Le Trident, réitère qu’à ses yeux, un personnage qui fume sur scène dans un contexte lié à une histoire fait un geste d’expression artistique.

Quand c’est dans le texte, quand c’est dans la mise en scène… ce n’est pas du tout pour faire la promotion du tabac. Souvent, ce sont des personnages en crise ou antipathiques [qui fument], et il n’y a rien de plus signifiant que cela. On ne pose pas là un geste gratuit.

Anne-Marie Olivier, directrice artistique du théâtre Le Trident

Rappelons qu’à la suite de plaintes portées entre 2017 et 2019, les trois théâtres ont été mis à l’amende par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Des plaintes de spectateurs ont conduit des inspecteurs du Ministère à faire des vérifications et à envoyer des constats d’infraction à la Loi concernant la lutte contre le tabagisme.

Les cigarettes utilisées contenaient de la sauge. « S’il y avait des options moins dommageables, bien sûr qu’on irait vers cela », dit Mme Olivier à ce sujet.

Un véritable tollé

Dans sa décision en première instance rendue le 9 novembre, le juge Yannick Couture a indiqué que fumer n’était pas à ses yeux un geste expressif et qu’il ne pouvait donc faire l’objet d’une protection reconnue par les chartes sur la liberté d’expression.

Sa décision a fait l’objet d’un véritable tollé. L’Union des artistes (UDA), le Conseil québécois du théâtre et plusieurs institutions se sont rangés derrière les trois théâtres reconnus fautifs.

Dans un échange de courriels, l’Union des artistes a relayé cette déclaration : « La scène est le miroir de la vie et représente qui nous sommes. L’UDA est un syndicat d’artistes interprètes : que nous restera-t-il à exprimer le jour où on ne pourra qu’interpréter des situations aseptisées qui ne choquent aucun spectateur ? »

Anne-Marie Olivier soutient de son côté que la décision crée un précédent et ouvre une « brèche inacceptable » dont les conséquences pourraient déborder les arts de la scène jusqu’aux plateaux de tournage.

« Pour nous, il est hors de question qu’on accepte cette chose-là, poursuit-elle. Notre avocat MLouis-Philippe Lampron va superviser une équipe d’avocats spécialisés en liberté d’expression pour faire avancer cette cause. »

Elle ne sait pas, au terme de la rencontre avec la ministre Roy, de quelle façon le ministère de la Culture et des Communications pourra apporter une aide concrète. « Cette forme, on ne la connaît pas, dit Mme Olivier. Mme Roy a maintenu sa déclaration sur la défense de la liberté d’expression. À partir de là, nous verrons comment les choses vont évoluer. On a quand même senti une ouverture et une compréhension de sa part. »

Au cabinet de la ministre, l’attachée de presse Elizabeth Lemay nous écrit : « Nathalie Roy a eu des échanges très intéressants avec les représentants des théâtres, en ce qui a trait à la cigarette dans les œuvres théâtrales. La ministre souhaite défendre la liberté d’expression et de création des artistes. Nous allons donc voir de quelle façon on peut les accompagner dans leur démarche. »

Par contre, a-t-on ajouté, la ministre attendra la décision rendue en appel pour voir quelles avenues elle pourrait emprunter pour aider les artistes dans leur démarche.