Nassara, de Carole Fréchette, mise en scène de Sophie Cadieux, avec Marie-Thérèse Fortin, Stephie Mazunya et Moussa Sidibé. Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 25 septembre. 4 étoiles

Tous ceux qui y ont posé le pied vous le diront : on ne rentre jamais tout à fait indemne d’un séjour en Afrique. La dramaturge Carole Fréchette ne fait pas exception. De l’ocre des rues de Ouagadougou, elle a rapporté un texte incandescent et haletant, ciselé comme un diamant.

Sa plus récente pièce, Nassara, ouvre de superbe façon la saison du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. La comédienne Marie-Thérèse Fortin y fait étalage de son immense talent dans le rôle de Marie-Odile, une Québécoise qui participe à un colloque international sur l’agriculture urbaine au Burkina Faso. Au hasard d’une promenade dans les rues de la capitale, elle va faire la rencontre d’enfants curieux devant la blancheur de sa peau : Nassara signifie « le Blanc, la Blanche » dans la langue du pays, le mooré…

Leurs cris de bienvenue, leurs mains tendues vont suffire à fissurer la carapace de cette amoureuse de la terre, porteuse d’un chagrin qui n’en finissait plus de l’étouffer.

Seule sur scène en compagnie de Stephie Mazunya, qui joue ici le rôle de la narratrice avec beaucoup d’aplomb, Marie-Thérèse Fortin va donner vie aux nombreux personnages qui l’entourent. Elle est tour à tour ce producteur de porc du Togo à la voix caverneuse, cette jeune Française au décolleté plongeant, cette Burkinabé au boubou coloré. Leurs voix s’entremêlent dans une partition polyphonique parfaitement maîtrisée, mais dont l’instrument dominant reste toujours la fragile Marie-Odile, hantée par ces enfants qui ont ouvert chez elle une valve insoupçonnée.

Puis arrive Ali.

Ali, un jeune homme en colère qu’on entend sans voir (nous y reviendrons) et qui fait basculer la pièce dans une violence inattendue. Avec lui, la parole devient torrent et le récit s’accélère, sans jamais dérailler. L’urgence de dire d’Ali, son besoin de se faire entendre coûte que coûte s’ancrent dans une humanité qui dépasse largement les frontières africaines.

Il est au Burkina Faso, il pourrait être à Montréal, jeune homme à l’avenir sombre vers qui personne ne tend l’oreille.

Petite parenthèse ici : l’interprète d’Ali, l’acteur malien Moussa Sidibé, n’a jamais pu mettre les pieds à Montréal pour participer à cette création, le Canada lui ayant (trois fois !) refusé son visa d’entrée, et ce, avant même le début de la pandémie. La metteure en scène Sophie Cadieux aurait pu le remplacer par un acteur d’ici ; elle a plutôt choisi de lui rester fidèle. Il se retrouve donc sur scène en sons et en images, à défaut de l’être en chair et en os.

Le stratagème fonctionne, mais on ne peut s’empêcher d’imaginer à quoi aurait ressemblé la pièce si l’acteur avait pu comme prévu fouler les planches du Théâtre d’Aujourd’hui. La charge émotive de ce texte déjà brûlant en aurait sans doute été décuplée.

Pour le reste, Sophie Cadieux a choisi de laisser ses personnages évoluer dans une scène peu chargée, pour laisser les mots emplir l’espace à satiété. Le texte de Carole Fréchette décrivant à merveille le ciel blanc de Ouagadougou, sa foule compacte et la chaleur écrasante qui l’enveloppe, inutile d’en rajouter.

Car dans ce spectacle très réussi, chaque mot est à sa place et coule comme de la lave que rien ni personne ne peut freiner.