Produite plus de 100 fois dans le monde en 50 ans, Hosanna, de Michel Tremblay, est rarement défendue par une drag queen. En reprenant le personnage du coiffeur de la Plaza St-Hubert travesti en Elizabeth Taylor dans le film Cléopâtre, Marc-André Leclair (alias Tracy Trash) joue le rôle de sa vie. La Presse a réuni l’auteur et l’interprète.

En apprenant que la drag queen Tracy Trash allait jouer Hosanna, Michel Tremblay a eu un peu peur… « Un acteur qui ne connaît pas le vécu des drags doit se l’inventer pour le jouer, expliquait l’auteur en entrevue cette semaine. Je craignais qu’une drag ait le nez trop collé sur le personnage. Et l’utilise comme un exutoire aux malheurs qu’il a affrontés dans son métier. »

Or, Tremblay a été soulagé d’apprendre que Marc-André Leclair est d’abord comédien. Puis il l’a vu sur scène en mai dernier : « J’ai compris que son expérience de drag sert à nourrir le jeu de l’acteur. J’ai vu une dizaine de productions depuis 1973, et c’est l’une des meilleures », commente Tremblay.

Tant mieux parce que la jeune compagnie annonce des reprises de la pièce dirigée par Jean-François Quesnel, avec Jacob Lévesque en Cuirette, dès le 5 juillet au Cabaret Mado.

Crise d’identité

Marc-André Leclair rêve de jouer du Michel Tremblay depuis plus de 20 ans. Toutefois, après sa sortie de l’école de théâtre du collège Lionel-Groulx, en 2000, le personnage de Tracy Trash a jeté de l’ombre sur les ambitions du comédien.

La drag a pris toute la place dans ma vie et a grugé le rêve de Marc-André. J’ai toujours eu à composer avec cette dualité, ce dédoublement de personnalité. C’est pour ça que je comprends bien le drame d’Hosanna. Je le vis depuis que j’ai quitté l’école de théâtre.

Marc-André Leclair, alias Tracy Trash

Or, si Marc-André Leclair tenait à défendre ce texte (il a apporté son exemplaire en entrevue pour montrer à l’auteur toutes les notes, les ratures et les soulignements qu’il a faits dans les pages), ce n’est pas parce que ça parle d’un travesti, c’est pour l’actualité de ses thèmes. « Les questions sur l’identité de genre, le conflit entre le masculin et le féminin à l’intérieur de soi, et le choix de pouvoir vivre librement cette dualité… »

Dans la pièce, Hosanna lance à son amoureux : « Ben si chus ni un gars ni une fille, pour que c’est faire que tu restes avec moé, d’abord ? » Peut-être parce que dans notre for intérieur, on est plusieurs personnes à la fois ?

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Marc-André Leclair a apporté son exemplaire d’Hosanna en entrevue pour le montrer à Michel Tremblay.

Striptease psychologique, mise à nu d’un personnage qui ne se reconnaît plus en se regardant dans le miroir, Hosanna c’est aussi cela. Depuis un demi-siècle, le sens de la pièce a changé. D’une métaphore de la crise d’identité sociopolitique d’un peuple dans les années 1970, en pleine montée du nationalisme québécois, elle est devenue une œuvre sur une crise identitaire et individuelle.

Plus de scandale

De plus, le milieu des drags, la perception de l’homosexualité, tout ça a aussi changé. « De nos jours, on parle des LGBTQ+, des queers, des personnes non binaires, etc. Quand Hosanna dit qu’elle peut devenir une vraie femme, avec l’information qu’on a sur la réalité des trans, il y a une nouvelle couche de sens à interpréter », remarque Leclair.

Ce qui est formidable, c’est que la pièce ne choque plus du tout.

Michel Tremblay

L’auteur se souvient qu’à la création de la pièce, au Quat’Sous en 1973, « ça sentait le soufre dans la salle et le public allait voir une pièce scandaleuse ».

Marc-André Leclair comprend Hosanna : « Quand les gens viennent voir Tracy Trash après un spectacle pour l’embrasser et lui dire qu’elle est belle, qu’elle est hot, Marc-André se sent oublié… »

Dans son nouveau livre Pleurer au fond des mascottes, Simon Boulerice illustre aussi cela, fait remarquer Michel Tremblay. « Il dit la même chose. Quand il travaillait dans des fêtes publiques, les gens venaient embrasser sa mascotte sans s’intéresser à ce qu’il y avait à l’intérieur, sous le costume. »

Une autre chose a changé en 50 ans. « C’est la mentalité des travestis des années 1970 qu’Hosanna dépeint : la rivalité, la méchanceté entre les drags. Aujourd’hui, le “bitchage” entre drags est un effet de scène pour faire réagir le public. Entre nous, chaque drag a sa place et il y a plus de solidarité. Et aussi, la drag est moins marginale. En 2021, c’est enfin considéré comme un métier, une discipline artistique. »

Pourquoi Michel Tremblay, qui aime faire réapparaître ses personnages, n’a jamais repris Hosanna dans une autre pièce ou un roman ? « [André] Brassard m’en a souvent parlé. Il me demandait comment je voyais Hosanna à 40, 50, 70 ans. Or, je ne peux pas l’imaginer plus vieux que l’âge qu’il a dans la pièce [30 ans]… D’ailleurs, c’est le seul personnage important dont je n’ai aucune idée de ce qu’il pourrait devenir après la tombée du rideau… »

Hosanna, de Michel Tremblay, mise en scène de Jean-François Quesnel, avec Jacob Lévesque et Marc-André Leclair. Les 5, 12, 19 et 26 juillet à 20 h 30, au Cabaret Mado. La pièce sera reprise au Théâtre La Comédie de Montréal dans le cadre de Fierté Montréal à la mi-août. Billets : Lepointdevente.com.