Avec Fairfly, une satire sociale sur les dérives du capitalisme, le jeune auteur catalan Joan Yago García dit avoir écrit une pièce politique sur un sujet très actuel : les start-up et la culture entrepreneuriale des trentenaires. Notre critique a vu la production sur le web.

Le Théâtre de la Manufacture présente Fairfly, une pièce de Joan Yago García créée à Barcelone en 2017, dans une adaptation québécoise signée Maryse Warda. Avec l’excellent trio du Projet Bocal : Sonia Cordeau, Simon Lacroix et Raphaëlle Lalande, auquel s’ajoute Mikhaïl Ahooja, tous les comédiens étant trentenaires, comme l’auteur.

Zone rouge oblige, le spectacle de La Licorne, mis en scène par Ricard Soler Mallol, est offert sur le web jusqu’au 12 décembre. Soulignons l’excellent travail du réalisateur Julien Hurteau qui a su transmettre les émotions des interprètes dans sa captation. On a l’impression d’être vraiment près de la scène. Pour le meilleur et pour le pire.

La webdiffusion pose la question de la projection des acteurs : au théâtre, les interprètes peuvent crier sur scène pour se faire entendre jusqu’à la dernière rangée ; mais ça devient agressant quand ça hurle à l’écran dans notre salon.

Le darwinisme du marché

Quatre amis trentenaires se réunissent un soir à la maison autour d’une bière. Ils travaillent pour un fabricant de purée pour bébés. Et ils sont inquiets de la restructuration de l’entreprise et de futures suppressions de postes. Après avoir rédigé un « manifeste », ils débattent de divers moyens pour exprimer leurs revendications au travail. Lorsqu’une idée surgit : « Pourquoi ne pas se lancer en affaires et démarrer sa propre start-up d’aliments pour bébés ? »

En moins de deux, ces « victimes » du libre marché se transforment en disciples de la croissance économique et en défenseurs de la fibre entrepreneuriale. Motivés par le succès, ils travailleront sans compter leurs heures, jusqu’au jour où « le darwinisme du marché » les fera déchanter. Et saboter les plans de leur microentreprise. Dans la jungle capitaliste, c’est connu, les gros mangent souvent les petits.

Critique de la nouvelle économie

La Manufacture affirme que Fairfly s’inscrit dans la lignée « d’une nouvelle génération d’auteurs catalans qui renouent avec la critique sociale au théâtre ». La pièce catalane critique par la bande l’Union européenne, et sa promesse que l’union fait la force… alors qu’elle creuse plutôt les inégalités entre les pays.

La pièce est très rythmée, avec des répliques qui fusent, plusieurs sauts dans le temps et une trame narrative éclatée. La fin est toutefois décevante, voire paresseuse.

La mise en scène intimiste intègre des éléments impressionnistes. Elle verse par moments dans le réalisme magique, en rupture de ton avec l’ensemble de la production. La plupart du temps, les acteurs jouent en pieds de bas, une bière à la main, autour de la table de la salle à manger…

Hélas, au milieu de la pièce, on constate que la satire tourne en rond. On aurait eu avantage à transposer l’œuvre comme une fable de la condition inhumaine d’un monde basé sur l’individualisme et le profit, au détriment du partage et de la solidarité. Au bout du compte, si l’amitié se base uniquement sur l’ambition et la réussite matérielle, financière, on n’est guère en très bonne compagnie…

Fairfly
De Joan Yago García
Mise en scène : Ricard Soler Mallol
Captation vidéo réalisée par Julien Hurteau pour Pixcom
Une production de La Manufacture en webdiffusion jusqu’au 12 décembre
★★★

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