En attendant d’accueillir à nouveau le public, dès que la Santé publique le permettra, les compagnies montréalaises ont transformé leurs théâtres en véritables centres de création à l’européenne. Avec des résidences, des laboratoires et autres chantiers de travail pour les artistes. L’un des rares effets bénéfiques de la pandémie pour le milieu.

En arrivant vendredi matin dans le hall du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui (CTD’A), avant les répétitions, les membres de l’équipe de Cyclorama doivent signer un registre sanitaire. En gardant leurs masques, ils se déplacent ensuite vers la salle, pour regagner leurs places respectives. Les concepteurs à la technique gardent leur couvre-visage en travaillant, tandis que les interprètes, une fois sur scène, peuvent retirer leurs masques pour jouer, tout en restant à distance de leurs partenaires de jeu. Bienvenue au théâtre au temps de la COVID-19.

À l’instar de plusieurs théâtres au Québec, dès que le CTD’A a pu reprendre ses activités, il a offert son espace aux artistes. Comme Laurence Dauphinais, en résidence de création au 3900, rue Saint-Denis cet automne. Elle signe la création de Cyclorama, pièce documentaire bilingue sur l’histoire de Montréal et ses deux solitudes. Cette coproduction historique avec le Théâtre Centaur devait ouvrir la saison. Elle sera finalement présentée l’an prochain. L’artiste en résidence profite de ce temps de création prolongé pour peaufiner Cyclorama avec son équipe.

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L’actrice Laurence Dauphinais

Tout le monde est là en permanence et en synergie, concentré sur un projet unique. En temps normal, on fait tous quatre choses en même temps. Ça me rappelle les conditions des centres de création en Europe. Et ça procure une énergie créatrice qui vaut de l’or !

Laurence Dauphinais, actrice

« Je suis privilégiée, car ce temps en extra a été bénéfique pour le spectacle, ajoute Mme Dauphinais. On a travaillé un mois dans la salle de répétitions, puis deux autres semaines dans la grande salle, avec l’équipe technique [son, éclairage, régie…]. En temps normal, on peut avoir la technique avec nous seulement quelques jours avant la première d’un spectacle. »

Le temps qu’il faut

Depuis trois semaines, Édith Patenaude se rend aussi chaque jour au CTD’A pour sa résidence de création. Elle est seule dans la salle Jean-Claude-Germain pour lire et approfondir le sujet de sa prochaine pièce : le libre arbitre. Mme Patenaude signe aussi chaque semaine un journal de résidence qu’on peut lire sur le site du Théâtre d’Aujourd’hui.

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Édith Patenaude

Édith Patenaude trouve que son rapport au temps a changé avec la pandémie : « S’il y a quelque chose que ce grand séisme me rappelle, c’est bien que nous sommes soumis à la production, toujours, à l’accumulation, dit-elle. Le sens existe à faire, à bouger, à vendre, à posséder. C’est banal, on le sait, mais le ralentissement de cette économie dilate, en quelque sorte, nos comportements et nous permet peut-être de mieux les observer. »

Au Prospero, Carmen Jolin estime qu’il faut continuer à exister comme théâtre :

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Carmen Jolin

C’est nécessaire d’être dans l’action, dans la vie, entre nos murs, afin de garder la force vive des créateurs et des créatrices.

Carmen Jolin

Son théâtre a concocté la 4e édition de Territoires de paroles. Elle se déroule, sans public pour le moment, jusqu’au 12 décembre. Au menu, une quarantaine d’artistes qui travaillent pour six différents laboratoires de création. Le premier chantier mené par Florent Siaud a déjà eu lieu la semaine dernière. Le metteur en scène a dirigé une relecture de mythe de Faust, avec des interprètes de haut vol : Marc Béland, Sophie Cadieux, Francis Ducharme, Émilie Monnet, Dominique Quesnel.

Espaces de vie

Carmen Jolin évoque ces « projets précieux » et les thèmes abordés « qui résonnent dans l’urgence de la crise actuelle ». « Je pense entre autres à ceux de l’auteur et metteur en scène haïtien Guy Régis, de la chorégraphe Mélanie Demers, de l’artiste multidisciplinaire innue Soleil Launière, dit-elle. Des projets qui donnent la parole à des gens des communautés. »

« Après plusieurs mois d’interruption de nos activités, il était temps pour le Prospero de rouvrir nos espaces à la réflexion, à la création. Tout le monde voulait revenir travailler en salle, même si la situation est précaire. Le théâtre n’est pas mort, on doit continuer à créer avec vigueur et dire au public de nous suivre sur nos réseaux », avance Mme Jolin.

Au cœur de l’épreuve d’annuler et de reporter sans cesse leurs programmations, les directions des théâtres ont pensé à soutenir les artistes autrement. Le Festival TransAmériques a annoncé son nouveau programme les « Respirations du FTA ». Une initiative qui offre des « espaces-temps et des résidences de création dédiés à la recherche, l’exploration, la réflexion en danse et en théâtre ». En tout, le FTA accueille 27 projets portés par 42 créatrices et créateurs, dont Marie Brassard, Mélanie Demers, Daina Ashbee, Catherine Tardif, Maxime Carbonneau et Laurence Dauphinais. Devant l’urgence, le Théâtre Aux Écuries a aussi été à l’écoute des artistes et lancé son « Super Centre de Création », pour leur donner les moyens de créer ensemble différentes activités diffusées 100 % en virtuel.

« On travaille à ce que les subventions et les aides d’urgence soient retournées aux artistes, le plus rapidement possible, tout en protégeant la santé financière fragile de nos institutions théâtrales, conclut Étienne Langlois, président de Théâtres associés inc. et codirecteur général du CTD’A. Car nous savons que c’est en soutenant le milieu, via la poursuite de nos activités, que nous pourrons traverser la crise. »

Comme quoi il peut y avoir des conséquences positives à la COVID-19 pour le milieu des arts vivants.

> Consultez le site du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui

> Consultez la page Facebook du Journal de résidence d’Édith Patenaude

> Consultez le site du Prospero

> Consultez la page des Respirations du FTA