Après avoir fait le deuil artistique de son projet de théâtre, la metteure en scène Édith Patenaude fait face à un autre stress, autrement plus grand : l’insécurité financière. Une réalité qui touche beaucoup d’artistes, contractuels, qui – comme des milliers de travailleurs autonomes au pays – ne savent pas quand ils recevront une aide pour boucler leur budget.

« Imaginez un employé régulier qui n’est pas payé pendant un mois par exemple, il va perdre le douzième de son salaire, ce qui est déjà un choc, n’est-ce pas ? nous soumet la metteure en scène Édith Patenaude, mais [pour les artistes], la réalité, c’est qu’un mois de travail peut représenter le quart, le tiers ou la moitié du salaire annuel ! »

Celle qui a monté la pièce Les sorcières de Salem au Théâtre Denise-Pelletier – qui devait être présentée cette semaine – et qui travaille sur Les étés souterrains – présentée, si tout va bien, à compter du 14 avril à La Licorne – évalue que ces deux projets (le premier annulé, le deuxième compromis), étalés sur une période d’un peu plus de deux mois, représentent la moitié de son année financière.

« Ces sous-là, je ne sais pas s’ils vont exister et je ne sais pas quand. Après, je suis peut-être plus chanceuse que d’autres parce que j’ai travaillé beaucoup dans les dernières années, donc j’ai une petite réserve d’urgence, mais j’en ai pour quoi, quatre, cinq mois… Beaucoup d’artistes n’ont pas cette réserve et n’ont pas leur loyer d’avril. »

Édith Patenaude n’en veut à personne. 

C’est un cas de force majeure, on le comprend. C’est une roue qui ne tourne plus, qui est arrêtée, mais la situation pour les artistes est urgente, il faut s’en rendre compte.

Édith Patenaude, metteure en scène

Jusqu’à présent, l’aide promise par Québec n’a pas encore été détaillée pour les artistes, qui ont été parmi les premiers à devoir renoncer à leur gagne-pain. Vendredi dernier, la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, a voulu rassurer le milieu culturel : tous les contrats signés par les artistes touchés par les mesures d’urgence seront honorés, a-t-elle promis. Une annonce relayée par la présidente de l’Union des artistes (UDA), Sophie Prégent.

« Je n’ai pas de doutes sur leur désir de nous soutenir, nous dit Édith Patenaude, mais comme on ne sait pas l’ampleur de la crise actuelle, on s’imagine que le gouvernement va devoir intervenir dans plusieurs autres domaines. Est-ce que les intentions de départ vont se concrétiser ? On ne le sait pas. Donc, on est dans l’attente… »

Des formulaires seront vraisemblablement mis à la disposition des organismes culturels ou des compagnies de théâtre et des artistes, qui devront les remplir. Mais le ministère de la Culture et des Communications n’a pas encore clarifié cette procédure.

Mercredi, le gouvernement fédéral de Justin Trudeau a annoncé une aide d’urgence de 5 milliards qui servira entre autres à dédommager les travailleurs autonomes. 

Une mesure qui pourrait aider les artistes en leur donnant accès (exceptionnellement) à l’assurance-emploi pour une période de 14 semaines. La mise en place de cette mesure, les modalités et les conditions d’admissibilité n’ont cependant pas encore été détaillées.

Québec pourrait également bonifier son Programme d’aide temporaire aux travailleurs touchés par le nouveau coronavirus (PATT) qui ne s’adresse pour l’instant qu’aux artistes qui rentrent au pays ou qui ont des symptômes et qui doivent se mettre en quarantaine.

Ces travailleurs autonomes, qui n’ont pas accès à l’assurance-emploi, pourront recevoir jusqu’à 573 $ par semaine pour une période de 14 jours d’isolement.

« C’est super pour eux, ça va les encourager à se mettre en quarantaine, mais ce n’est pas un programme accessible aux travailleurs culturels du Québec », estime Édith Patenaude. 

On n’est peut-être pas en quarantaine, mais on est en isolement quand même ! On nous demande de ne plus nous rassembler, de se tenir à un mètre de distance. On se demande si on doit répéter pour nos futurs projets… Ce n’est pas clair, ce qu’on doit faire.

Édith Patenaude, metteure en scène

Nombre de travailleurs du milieu culturel sont dans une situation précaire – qui s’ajoute à leurs conditions de travail déjà précaires… C’est le cas de Martin Lessard, technicien de son, dont les contrats ne relèvent pas de l’UDA. Depuis le 12 mars, il n’a plus de revenus. 

« Les mois d’avril et mai étaient les plus rentables de mon année, se désole ce technicien payé à la représentation, qui travaille sur des shows de tournée, comédies musicales ou spectacles de musique. J’en avais pour 30 000 $ de contrats. »

Pour l’instant, il vit de ses économies, mais pour combien de temps ? Comme beaucoup de ses collègues, si l’aide des gouvernements tarde à venir, il devra demander un congé d’hypothèque à sa banque (les banques se sont dites prêtes à accorder des répits à certains de leurs clients mardi), parce qu’il n’a pas d’autre filet de sécurité. 

Même chose pour Julie Basse, conceptrice aux éclairages, qui a reçu son cachet pour la conception de la pièce Mademoiselle Julie, mais qui ne touchera pas à ses droits de suite (somme versée à chaque représentation), et qui devait travailler sur des spectacles de musique dans les prochains mois. 

« Je ne panique pas encore, mais si ça dure plus que trois semaines, sans aide financière, je vais être obligée de puiser dans ma marge de crédit ou demander de l’aide à mes parents », nous dit la jeune femme dont les contrats sont encadrés par l’Association des professionnels des arts de la scène du Québec (APASQ). 

Ce qui m’inquiète le plus, c’est de voir des projets reportés, qui risquent de tasser d’autres projets sur lesquels je travaille. J’essaie de ne pas trop angoisser, tout va dépendre combien de temps ça dure tout ça, mais j’ose croire qu’on va trouver des solutions ensemble. Au moins, le gouvernement a reporté le paiement des impôts…

Julie Basse, conceptrice aux éclairages

« Il faut qu’un processus de dédommagement soit mis en place rapidement, plaide Édith Patenaude. Parce que la majorité des gens du milieu des arts se demandent comment ils vont survivre. »