Rentrée réussie chez Duceppe, qui a ouvert sa saison cette semaine avec la pièce Héritage (A Raisin in the Sun), de Lorraine Hansberry. Un mélodrame centré sur une famille afro-américaine des années 50, qui peine à sortir du ghetto de South Side, à Chicago, où elle est engluée.

Pour interpréter les neuf personnages de la famille Younger, les directeurs artistiques de chez Duceppe (Jean-Simon Traversy et David Laurin) ont eu la bonne idée de faire appel à des acteurs noirs. Pas question de tomber dans le panneau de SLĀV… D’où le caractère événementiel de cette première pour un théâtre populaire (seule Denise Filiatrault avait réuni sur scène quelques acteurs noirs dans la comédie musicale Hairspray).

Il n’est pas non plus inutile de rappeler que les théâtres anglophones de Montréal ont depuis longtemps brisé ce plafond de verre. Mais saluons cette formidable diversité (parfaitement qualifiée), qui a enfin la chance de s’exprimer sur nos scènes.

Cela dit, les habitués de Duceppe demeureront en terrain connu, la maison ayant toujours misé sur des pièces populaires, puisant abondamment dans la dramaturgie américaine (Arthur Miller, Edward Albee, etc.). C’est le cas de cette pièce de Lorraine Hansberry (écrite à 28 ans seulement), qui est devenue un classique de Broadway, et même un film mettant en vedette Sidney Poitier.

L’argument se résume en quelques lignes. La famille Younger – Walter Lee, sa femme Ruth et leur garçon Travis, mais aussi la jeune sœur de Walter Lee, Beneatha, et leur mère Lena – vit entassée dans un appartement miteux de South Side. Or, la matriarche, qui est sans conteste le chef de cette famille pauvre, mais fière, reçoit un chèque de 10 000 $ de l’assurance-vie de son mari (mort depuis peu).

Vous devinez la suite : chacun veut avoir sa part du butin pour se sortir de la misère et réaliser ses rêves.

Walter Lee veut ouvrir un magasin d’alcool ; sa sœur Beneatha veut faire des études en médecine ; et Lena rêve d’habiter une maison à deux étages. Tout cela sur fond de ségrégation et de lutte pour les droits des Noirs aux États-Unis, rappelons-le.

Mike Payette nous propose une mise en scène et un décor hyper réalistes, comme le commande ce texte naturaliste, qui a quelque chose de très tchékhovien – dans le désespoir et l’incapacité des personnages à réaliser leurs rêves. Donc, oui, le déroulement est long et lent. Il faut s’armer de patience (près de trois heures, en incluant l’entracte), mais heureusement, la matière dramatique est fertile et soulève un tas de questions pertinentes sur la famille, la société, et bien sûr la discrimination raciale.

Des interprètes à l’aise

Autre raison de se réjouir : les acteurs livrent tous une excellente performance, à commencer par Frédéric Pierre, bien loin de son rôle dans Ladies Night ! L’acteur interprète avec beaucoup de justesse et d’émotion ce Walter Lee aux bonnes valeurs, mais totalement désabusé et humilié, qui a des rêves de grandeur, mais qui se perd dans son désir d’être prospère.

Seul bémol : ce trémolo persistant qui lui donne une voix chevrotante… Un tic qui se corrige facilement et qui lui permettrait de rugir parfaitement comme le lion en cage qu’il interprète avec beaucoup d’aisance.

Dans le rôle de la mère, Lena, Mireille Métellus, qui est de presque toutes les scènes, est remarquable. Malgré quelques hésitations en lever de rideau, elle établit immédiatement son autorité. Tracy Marcelin, dans le rôle de Beneatha, jeune femme libre, ambitieuse et féministe avant l’heure, est elle aussi rayonnante. Myriam De Verger, peut-être plus nerveuse en ce soir de première, incarne une Ruth tout de même crédible, et le jeune Malik Gervais-Aubourg est tout simplement attachant dans le rôle de Travis.

Si la pièce de Hansberry nous permet de mesurer tout le chemin parcouru par les Noirs (et par les femmes !), elle nous fait réaliser à quel point, dans l’Amérique de Trump, tous ces gains demeurent fragiles.

> Consultez le site internet de la pièce