« C’est à la mode, les Autochtones. Les gens aiment ça, penser qu’ils ont fait leur part en lisant un livre, en regardant un film. »

Cet extrait n’est pas tiré de notre entrevue avec Dominique Pétin, Sonia Bonspille Boileau ou Jason Brennan. Il s’agit plutôt d’une réplique lancée par Pascal (Iannicko N’Doua), conjoint de l’éditrice Julianne (Virginie Fortin), dans Pour toi Flora, une minisérie qui aborde l’horreur des pensionnats pour Autochtones au Québec.

Or, nos interlocuteurs n’en pensent pas moins. La réalisatrice et auteure du drame en six épisodes, Sonia Bonspille Boileau, a passé des années à tenter de convaincre des diffuseurs non autochtones de sélectionner ses projets. D’ordre général, ses efforts sont restés vains. Mais depuis 2020 (mort de Joyce Echaquan) et 2021 (découverte d’ossements d’enfants près d’anciens pensionnats), elle observe un changement.

« Le vent a tourné, déclare la cinéaste d’origine mohawk de Kanesatake. J’ignore si c’est à cause d’un sentiment de culpabilité ou parce qu’il y a maintenant des fonds spécifiques réservés aux projets autochtones, mais on m’a beaucoup contactée pour collaborer [au cours des dernières années]. »

Ça vient d’une bonne place, mais des fois, ça crée une sorte de malaise. Est-ce que c’est vraiment dans l’objectif de guérir, de collaborer et d’établir des liens ?

Sonia Bonspille Boileau

Pour Dominique Pétin, les paroles du personnage traduisent une crainte chez certains Autochtones. Ils redoutent qu’au bout du compte, la revitalisation artistique, linguistique et même politique du peuple autochtone ne soit qu’un phénomène passager, une tendance éphémère. « Tout va tellement vite aujourd’hui. On passe souvent d’une chose à l’autre. Un jour, c’est le féminisme ; le suivant, c’est le racisme systémique… »

« Est-ce qu’on est d’aussi bons citoyens qu’on le pense ? », poursuit la comédienne née d’une mère huronne de Wendake. « Se donner bonne conscience en mettant un like, c’est facile. Et personne n’y échappe. Je m’inclus là-dedans. »

Un rôle inespéré

Le sujet des pensionnats pour Autochtones habitait Sonia Bonspille Boileau depuis des années avant qu’elle ne décide d’écrire Pour toi Flora. En 2010, elle avait sorti Last Call Indian, un documentaire qui exposait sa quête identitaire, et dans lequel elle parlait d’un être cher qui avait connu ce terrible régime : son grand-père.

Produit par Jason Brennan pour Nish Media, une boîte de production audiovisuelle autochtone établie en Outaouais, Pour toi Flora retrace le parcours de jeunes Anishinaabe arrachés à leurs parents et placés sous l’autorité des oblats, au cœur des années 1960, dans le but d’être assimilés et évangélisés. La série décrit, parfois explicitement, parfois implicitement, les sévices physiques, psychologiques et sexuels qu’ils ont subis.


PHOTO ÉVA-MAUDE TC, FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Sara Rankin Kistabish (Wabikoni) et Russell Flamand (Kiwedin) dans Pour toi Flora

Dominique Pétin incarne le personnage-titre en 2022, une femme qu’elle qualifie d’« usée », de « souffrante » et d’« emmurée ». « Ce rôle, je ne l’attendais pas, affirme l’actrice de 60 ans. Je ne l’espérais même pas. »

Je ne pouvais pas m’imaginer qu’un jour, on mettrait des Autochtones en haut de l’affiche, dans une série pour Radio-Canada.

Dominique Pétin

Pour Sonia Bonspille Boileau, malgré leurs traits de caractère diamétralement opposés, aucune autre comédienne ne pouvait interpréter Flora. « Dominique est tellement une fille rayonnante et joyeuse, alors que Flora est prise dans une sorte de cage. Mais c’est elle que j’avais en tête au départ. Et quand on s’est rencontrées, ça s’est confirmé. Et j’ai constaté à quel point c’était important pour elle. »

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Dominique Pétin (Flora) et Virginie Fortin (Julianne) dans Pour toi Flora

« S’il avait fallu que cette série existe sans moi, je ne m’en serais jamais remise, affirme Dominique Pétin. Je n’aurais pas survécu. »

Remettre les pendules à l’heure

Les attentes sont élevées envers Pour toi Flora, qu’on peut regarder depuis quelques jours sur ICI Tou.tv Extra, et qu’on attend la saison prochaine sur ICI Télé et APTN.

L’équipe derrière la série souhaite qu’elle fasse œuvre utile en pansant les blessures des survivants, ainsi qu’en sensibilisant les allochtones aux traumatismes des communautés autochtones.

« Les survivants ne veulent pas d’excuses, soutient le producteur Jason Brennan. Ils veulent simplement qu’on reconnaisse l’existence des pensionnats. Ils veulent être écoutés. Ils veulent qu’on comprenne l’ampleur de l’affaire. »

Pour sa part, Dominique Pétin souhaite que Pour toi Flora soit présentée dans les écoles, pour qu’on cesse d’enseigner aux enfants « l’histoire coloniale », et qu’ils apprennent « l’histoire, juste l’histoire ». « Ça pourrait remettre les pendules à l’heure », dit-elle.

Jason Brennan opine. « Mon fils termine sa sixième année. Ils ont passé 15 minutes sur l’histoire des Autochtones au Québec. Ils n’ont jamais mentionné les pensionnats. Mais ils ont parlé des plumes, des scalpes… Mon fils n’a jamais osé lever la main pour dire qu’il était autochtone. Il avait trop peur des réactions. »

La série Pour toi Flora est offerte sur ICI Tou.tv Extra.