Bien qu’elle n’obtienne pas beaucoup de succès aux États-Unis, la compétition vocale Alter Ego suscite beaucoup d’enthousiasme au sein du milieu télévisuel québécois. Parce qu’en mariant réalité augmentée et variétés, cette nouvelle émission ouvre un monde de possibilités.

Diffusé le mercredi sur FOX en combo avec The Masked Singer, version américaine de Chanteurs masqués, Alter Ego emprunte une formule singulière : les candidats chantent sous l’apparence d’avatars. Vous n’êtes pas certain de bien comprendre le concept ? Pensez à n’importe quel concours de chant télévisé, comme La voix ou Star Académie, mais assaisonné d’éléments virtuels en 3D.

Pour gagner le vote de confiance d’un jury composé d’Alanis Morissette, de Grimes, de Nick Lachey (98 Degrees) et de will.i.am (Black Eyed Peas), un concurrent vêtu d’une combinaison équipée de capteurs de mouvement interprète une chanson en coulisse, pendant qu’en studio, les experts vedettes et l’auditoire voient son avatar bouger en temps réel.

PHOTO GREG GAYNE, FOURNIE PAR FOX

Une candidate d’Alter Ego équipée de capteurs de mouvement enregistre sa performance.

Le mot est faible, Alter Ego déçoit. Du côté de la critique, la presse est impitoyable. Variety qualifie l’émission d’ennuyante version holographique d’American Idol, The Guardian se demande s’il s’agit du pire programme télé de 2021, et Pitchfork parle d’un contenant avant-gardiste prisonnier d’un format hyper conventionnel.

Et du côté des cotes d’écoute, c’est également laborieux. Depuis son décollage devant 2 850 000 curieux en septembre dernier, l’émission continue de perdre des plumes. Mercredi dernier, seulement 2 330 000 mordus étaient au rendez-vous, d’après les données préliminaires de Nielsen.

« Ça ouvre des portes »

Si Alter Ego n’a pas l’air parti pour révolutionner les concours de chant télévisés, son entrée en ondes devrait changer la donne à d’autres égards.

À compter d’aujourd’hui, les producteurs télé, comme les diffuseurs, seront plus enclins à soutenir des émissions de variétés qui emploient la réalité augmentée, puisqu’ils voient qu’elle peut être utilisée à plusieurs sauces, croit Matthieu Larivée, producteur et associé chez Lüz Studio, entreprise montréalaise de conception visuelle.

Ça ouvre des portes, parce qu’on voit que c’est possible. Ça peut être fait. Ce n’est plus seulement une idée sur papier ; c’est concret.

Matthieu Larivée, producteur et associé chez Lüz Studio

« Une nouvelle idée, un nouveau concept, ça rend souvent les gens nerveux, note Matthieu Larivée. Je comprends, parce qu’en télé, les budgets sont serrés. Les gens préfèrent prendre des concepts établis. C’est moins risqué. »

La technologie derrière Alter Ego inspire également les réalisateurs d’émissions de variétés, a constaté La Presse. Vice-président au développement des affaires de Rec4Box, entreprise de fabrication d’unités mobiles de production, et réalisateur de Chanteurs masqués, d’En direct de l’univers et de Y’a du monde à messe, Luc Sirois fait partie du groupe.

Le concept d’Alter Ego n’est pas parfait, mais parce qu’une idée en amène toujours une autre, c’est super excitant. Ça dédouane plein d’affaires. Ça montre qu’en 2021, on est rendu là.

Luc Sirois, vice-président au développement des affaires de Rec4Box et réalisateur

Même son de cloche chez Daniel Vigneault, réalisateur des 1res fois, avec Véronique Cloutier. « Alter Ego, c’est un peu bébelle, mais l’effet peut être tripant. Ça stimule la créativité. »

En demande

La réalité augmentée existe depuis quelques années en télévision. Particulièrement aux États-Unis. On pense notamment aux présentateurs météo en période d’ouragans, qu’on entoure parfois d’eau virtuelle en studio pour illustrer le niveau des inondations. En sports, on peut citer la fameuse ligne jaune qu’on fait apparaître au centre du terrain de football, pour montrer la distance que l’attaque doit parcourir pour obtenir un premier essai.

Au Québec, cette technologie a notamment été mise au profit des prix Gémeaux en 2020 (des écrans « sortaient du plancher » aux côtés des finalistes sur scène) et en 2021. La fête du Canada s’en est aussi servie l’an dernier pour compenser l’absence de spectateurs et créer une impression de foule.

PHOTO ÉRIC MYRE, FOURNIE PAR RADIO-CANADA

La réalité augmentée a été mise au profit du plus récent gala des Gémeaux, animé par Véronique Cloutier.

N’eût été une certaine pandémie mondiale, la réalité augmentée n’aurait jamais connu un essor aussi grand au Québec, estime Matthieu Larivée. « La COVID-19 a accéléré le processus. Les choses ont évolué de 10 ans en 1 an. »

Ici pour de bon

La réalité augmentée coûte cher. Voilà pourquoi seules les productions d’envergure peuvent s’en servir, souligne Daniel Vigneault, réalisateur des deux plus récentes éditions des prix Gémeaux.

Pour l’instant, ça prend du temps d’installation, c’est beaucoup de défis, et c’est un peu casse-gueule… Mais c’est le fun à explorer.

Daniel Vigneault, réalisateur des deux plus récentes éditions des prix Gémeaux

Selon Matthieu Larivée, tout est une question de priorités. « C’est un choix qu’il faut faire. Si vous voulez un gala avec des décors, des lumières, des projections… et plusieurs éléments en réalité augmentée, c’est sûr que vous allez dépasser le budget. Mais si vous coupez telle et telle chose, c’est faisable. Parce qu’avec la réalité augmentée, vous n’avez pas besoin de décor. Tout est possible. Sky is the limit. »