Guy A. Lepage est l’une des personnalités les plus stables du showbiz québécois. Une avalanche de prix pendant toute sa carrière est là pour confirmer qu’il appartient à la catégorie A – c’est peut-être ça qu’annonçait le A de son nom, finalement – ainsi que les cotes d’écoute de Tout le monde en parle, autour du million de téléspectateurs chaque dimanche depuis 17 ans, encore plus depuis la pandémie.

J’ai l’impression parfois qu’il y a des gens qui se réveillent la nuit pour le haïr autant qu’il y a de gens qui n’ont rien raté de ce qu’il a fait depuis 40 ans (la première catégorie entre souvent dans la deuxième). « Le talent, ça nous appartient, dit-il, mais la popularité, ce n’est pas nous qui la décidons. C’est le public. Oui, je suis quelqu’un de controversé, mais je pense que les gens apprécient le fait que je dis ce que je pense et que je fais ce que je dis, même quand ils ne sont pas nécessairement d’accord. Je suis un privilégié. Peut-être parce que je n’avais pas fondamentalement le goût de faire ça dans la vie, et que je suis toujours à une contrariété de sacrer mon camp. Les gens l’ont compris autour de moi et ils me laissent beaucoup de latitude. »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Guy A. Lepage

J’ai découvert Guy A. Lepage dans Rock et Belles Oreilles quand j’avais 13 ans et il fait depuis partie de mon paysage un peu comme un Bernard Derome pour d’autres, mais en plus drôle et en plus baveux. En ce sens que s’il a toujours été là, on en connaît très peu sur sa vie personnelle. Il n’est pas du genre à faire les revues à potins, disons. « J’ai toujours refusé, même si les mères de mes enfants sont des personnes du milieu [Louise Richer et Mélanie Campeau], explique-t-il, en ajoutant qu’il ne se fera jamais photographier avec sa conjointe “devant son lave-vaisselle”. Il n’y en aura pas, 101 indiscrétions sur notre couple parce que, honnêtement, je trouve ça poche, ces affaires-là. C’est pour ça qu’on a fait le sketch Les deux bitches à RBO, parce qu’on trouvait ça niaiseux, ce que certaines vedettes faisaient pour leur carrière. Ça ne m’a jamais empêché d’avoir beaucoup de couverture médiatique. »

En revanche, c’est un utilisateur actif de Twitter, où il n’hésite pas à croiser le fer et à répondre à ses détracteurs. Il s’est inscrit d’abord pour désamorcer le « festival du complot » chaque dimanche soir pendant TLMEP. Il est devenu en quelque sorte un influenceur avec ses 450 000 abonnés, en utilisant sa tribune comme ambassadeur pour la fondation CHU Sainte-Justine, par exemple, tout en distribuant quelques claques aux brutes et aux trolls. « Parce que je déteste l’intimidation. Mes conseillers me disent de ne pas répondre au monde. Mais moi, si tu m’agresses, c’est sûr que je te réponds.

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Guy A. Lepage

Ça fait 40 ans que je le fais et j’ai eu beaucoup plus d’avantages que de désavantages à le faire. Je n’ai aucun problème à ce qu’on me critique. Je m’adapte au ton. Si tu m’insultes, je t’envoie chier, et s’il y a une quelconque menace, c’est la police. Je ne veux rien savoir de ça.

Guy A. Lepage

Quant à ceux qui varlopent Tout le monde en parle chaque dimanche, ça le fait rire. « Je pense que si tu regardes chaque semaine une émission que tu n’aimes pas, c’est un problème personnel. Je ne suis pas psy, je ne peux rien faire. Mais nous avons accès aux cotes d’écoute minute par minute. Quand les gens disent qu’ils changent de poste parce qu’ils sont fâchés, c’est faux. Ils s’indignent et continuent de regarder. »

Le droit de tout dire

Malgré le fait qu’on lui rappelle sans arrêt les bons souvenirs de RBO ou d’Un gars, une fille, ce n’est pas un nostalgique. Ses fans connaissent probablement plus ses répliques cultes que lui. « J’ai la capacité de flusher instantanément de mon disque dur personnel tout ce que je viens de faire pour me concentrer sur ce qui s’en vient. J’ai tout le temps été comme ça. Je regarde RBO et je dirais que 80 % des sketches, je m’en rappelle fuck all. On ne faisait que travailler. »

Il a le détachement de celui qui sait avoir du pouvoir, qui peut dire oui ou non quand il veut, ce dont il ne s’est jamais privé, et ce qui lui donne une confiance en lui bétonnée qui peut parfois passer pour de l’arrogance. À ceux qui le trouvent fendant, j’ai envie parfois de dire d’aller voir ses premières entrevues, parce qu’il s’est beaucoup assagi avec le temps, tout en conservant son tempérament impulsif.

Mais Guy A. Lepage est surtout un bourreau de travail et un professionnel. Il fait partie des rares vedettes qui rappellent systématiquement les gens, tous les journalistes pourraient vous le confirmer. Il est aussi un gars d’équipe, d’une fidélité absolue envers ses collègues de la première heure, qui sont souvent ses meilleurs amis. Il le répète : il est RBO Forever. « Je pense qu’on a tous réalisé qu’on se doit tout », note-t-il. Et contrairement aux jeunes humoristes qui doivent se défendre seuls dans un environnement ultra-compétitif, c’est probablement le cadre de RBO qui a alimenté sa confiance en lui. Tout ce qu’ils ont fait était assumé en groupe, le bon comme le mauvais, et si l’un d’entre eux partait sur une balloune, elle était vite dégonflée par les autres.

Aussi ne croit-il pas, 40 ans plus tard, qu’on n’a « plus le droit de rien dire ». « Des émissions sur l’humour qui vont trop loin dans les années 1980-1990, il y en a eu une chiée ! On refusait toujours d’y participer. On n’allait pas justifier intellectuellement des sketches qu’on cautionnait. Si tu ne trouves pas ça drôle, t’as le droit. Arrange-toi avec ton cadre d’analyse, t’as le droit de dire ce que tu veux, et nous aussi. »

Honnêtement, je suis encore comme ça, mais je me suis raffiné en vieillissant. Tu apprends à écouter la parole des autres et à reconnaître leur droit fondamental d’exister, mais ça ne m’empêche jamais de faire et de dire ce qui me tente. Là-dessus, je suis très “vivre et laisser vivre”.

Guy A. Lepage

À la barre de Tout le monde en parle, il a vu évoluer la société québécoise. « Nous avons maintenant des clashs entre la génération au pouvoir et les plus jeunes qui ont une autre vision. Je trouve ça intéressant. On peut les nommer de façon préjudiciable, parler d’un côté des baby-boomers et de l’autre des “wokes”, mais dans tous les cas, une génération s’en va et l’autre arrive. C’est à eux d’imposer leurs nouvelles formes de consensus social. Le neuf pousse sur le vieux, comme on dit. Quand j’avais 24 ans et que je commençais à avoir du pouvoir, je me disais que c’était à moi d’en prendre le plus possible, d’influencer et de représenter les gens de ma génération. Ça ne veut pas dire que je vais me plier à tous les changements sans donner mon avis, mais je suis parfaitement d’accord. On appelle ça l’évolution. »

Toujours vers l’avant

Il lui sera peut-être plus difficile d’oublier l’année 2020, même s’il regarde toujours vers l’avant et n’a jamais ralenti le rythme. D’abord, la pandémie a transformé Tout le monde en parle en une émission en direct. Pour ceux qui préfèrent cette formule, sachez qu’elle va se poursuivre, et peut-être pour longtemps. « Je ne vois pas à court terme comment on pourrait revenir en différé, honnêtement, confie-t-il. Comme producteur au contenu, ça me réduit un peu dans mes choix. Il faut un esprit de concision, le montage servait vraiment à améliorer les invités. Mais côté animation, j’aime beaucoup, c’est vraiment le fun. Ce n’est pas l’affaire la plus stressante que j’ai faite en direct. Peu de choses t’énervent après avoir animé le show de la Saint-Jean devant 300 000 personnes un peu soûles et 1 million d’autres à la télé… »

Enfin, 2020 marque non seulement la troisième saison de la série animée Bébéatrice, son dernier bébé créatif, et les 40 ans du groupe RBO qui reviennent sur CRAVE avec le projet RBO – The Archives, mais c’est aussi l’année où il a eu 60 ans. « J’ai toujours eu peur de vieillir. Je me rappelle que, quand j’ai commencé à 20 ans, je me trouvais déjà vieux. Mais étant donné que ma mère est morte à 40 ans et que mon père était paralysé à 57 ans, je me trouve chanceux de m’être rendu là avec le bagage génétique de marde que j’ai. En tout cas, moi, mon but, c’est d’un jour mourir en pleine forme. »

Voilà peut-être le grand moteur de Guy A. Lepage : s’il a produit un nombre incalculable de blagues dans sa carrière, il n’a jamais eu le temps de niaiser.