On pourrait croire qu'il y a une malédiction autour de la comédie musicale basée sur le célèbre roman de Mordecai Richler. Depuis 40 ans, on a souvent tenté de le porter à la scène. Au début des années 80, l'auteur en a signé une adaptation pour le Citadel Theatre d'Edmonton. Une production de plusieurs millions qui a reçu de très mauvaises critiques.

En 1987, les créateurs du spectacle à l'affiche du Segal ont aussi présenté un musical à Philadelphie. Mais le succès n'a pas été au rendez-vous.

Or, ils persistent et signent une nouvelle version à l'affiche du Centre Segal, qu'ils souhaitent présenter à Broadway. Hélas, malgré une histoire magnifique portée par de bons interprètes, bien en voix, dont ceux des rôles principaux de Duddy et d'Yvette (Ken James Stewart et Marie-Pierre de Brienne), on doute fort que la comédie musicale se rende plus loin que le West Island.

Pour renouer avec l'oeuvre, on vous suggère de lire le livre ou de regarder le film réalisé par Ted Kotcheff en 1974, avec Richard Dreyfuss et Micheline Lanctôt.

Ce (long) spectacle de deux heures et demie débute avec une scène sans musique. Celle du déjeuner au comptoir du Wilensky, où TOUS les interprètes jouent de dos. Plus tard, on a droit au visionnement d'un film expérimental sur la bar-mitsvah sur un petit écran, au fond de la scène, avec les acteurs encore de dos...

La musique mielleuse du compositeur oscarisé Alan Menken (Beauty and the Beast) ne réinvente vraiment pas le genre. Ensuite, et surtout, la mise en scène d'Austin Pendleton souffre d'amateurisme. Les acteurs secondaires jouent des caricatures et non des personnages (Virgil, le poète candide et ami de Duddy, ressemble à un demeuré ; Friar, le cinéaste anglais expérimental, sort d'un sketch de Monty Python). 

Certes, Richler a créé des archétypes de la communauté juive. Mais ses personnages sont censés avoir une profondeur, une vérité, une humanité.

Une drôle de fin

Pendelton et ses complices ont aussi misé sur un « happy end » qui va à l'encontre de ce récit initiatique. Duddy Kravitz, ce juif montréalais aussi aimable que détestable, veut se faire un nom, envers et contre tous. À sa manière ambitieuse, il est un personnage balzacien. Un Rastignac de la rue Saint-Urbain qui triche pour mieux bâtir son estime de lui. Son apprentissage est jonché de pièges dans lesquels il tombe à pieds joints. Duddy est l'exemple déchirant que l'humain ne change pas. Ou si peu... Il n'y a rien de joyeux là-dedans. 

« Un homme sans terre n'est rien », répète Duddy en paraphrasant son grand-père. Un musical sans âme non plus.

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The Apprenticeship of Duddy Kravitz : The Musical

D'après le roman de Mordecai Richler

Livret et paroles de David Spencer ; musique d'Alan Menken ; mise en scène d'Austin Pendleton

Au Centre Segal jusqu'au 12 juillet