«En politique, la morale s'arrête là où les intérêts individuels commencent.» Cette phrase n'a pas été prononcée par un témoin repentant de la commission Charbonneau. Elle est plutôt lancée durant la représentation de Sorel-Tracy. À elle seule, cette réplique résume l'intrigue de la pièce... mais aussi le cynisme de la majorité des Québécois envers nos élus.

Alors que chaque jour des personnages ubuesques défilent devant la juge Charbonneau, il n'est guère surprenant de retrouver au théâtre le sujet de la collusion et de la corruption du monde politique municipal. Voilà la source d'inspiration du jeune auteur Emmanuel Reichenbach pour écrire Sorel-Tracy. Une création ludique du Théâtre Sans Domicile Fixe, à l'affiche de la petite salle du Théâtre d'Aujourd'hui.

Serge Boivin (Guillaume Cyr), le maire mégalomane et sans scrupule d'une ville de province, tente de se faire réélire pour un énième mandat. Mais sa campagne va mal. Très mal. On comprend vite que ce maire ne s'est pas fait seulement des amis dans l'exercice du pouvoir. Il a, entre autres, permis l'installation d'une mégaporcherie au beau milieu de la ville sans tenir compte de l'environnement et de la santé de ses citoyens. D'ailleurs, la métaphore porcine colle autant à son physique qu'à sa personnalité publique!

Entouré de son «cerveau» (l'attaché politique joué par Yannick Chapdelaine), de son directeur et collecteur d'enveloppes brunes (Félix Beaulieu-Duchesneau), ainsi que de sa dévouée secrétaire-experte-de-la-déchiqueteuse (Léa Simard), le maire Boivin va lutter contre vents et marées pour continuer à gouverner son petit royaume. Il ira même jusqu'à participer à une émission de variétés pour la télévision communautaire qui ridiculise sa race de politiciens.

Le texte de Reichenbach est avant tout une satire colorée de la corruption chez nos élus. La mise en scène de Charles Dauphinais, mouvementée et efficace, colle au ton caricatural de l'oeuvre. Dans un décor brun et kitsch (avec murs en préfini et trophées en toc) représentant le bureau du maire, les acteurs sont comiques et bons, suivant la ligne du texte.

Toutefois, on aurait souhaité que l'oeuvre s'élève au-delà de la satire au premier degré. Que l'auteur aille plus loin dans le genre que les sketchs d'humour ou les émissions de variétés. Or, le texte ne transcende pas son sujet corrosif. On est loin de la fable brechtienne, du drame shakespearien (ou même des vieux films de Denys Arcand) qui s'inspirent des vices du pouvoir pour en faire un théâtre beaucoup plus grand que le miroir de la petitesse humaine.

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Au Théâtre d'Aujourd'hui, salle Jean-Claude-Germain, jusqu'au 2 mars.