Marie Rémond, fine jeune femme brune de 31 ans, fait mieux que jouer André Agassi, elle EST André: une simple perruque blonde et c'est le champion de tennis américain qui revit 30 ans de calvaire, sur la scène du théâtre du Rond-Point à Paris.

En 2009, André Agassi casse le mythe: l'enfant chéri du public, tenues pétantes et crinière blonde, démonte dans ses mémoires un «vieux, vieux mensonge». Non, il n'aime pas le tennis, il «lui voue une haine obscure et secrète, et ce depuis toujours».

À 36 ans, rompu, le corps hurlant de douleur, il dispute son dernier match, mettant un point final à une carrière prestigieuse.

Les trois acteurs d'André, Marie Rémond, Clément Bresson et Sébastien Pouderoux, issus de la même promotion (2007) du Théâtre National de Strasbourg, ont écrit la pièce sur la table de cuisine de Marie à partir de la biographie du tennisman, Open.

Marie raconte être tombée sur le livre «un soir d'hiver à la gare d'Avignon». Elle le lit d'une traite, «fascinée par les questions de doute, de pression», convaincue «qu'il doit être dit, et pas seulement lu».

Tout d'abord, dit-elle, «je n'osais pas en parler, je me disais, on va me rire au nez si je propose un projet sur Agassi». Mais ses deux anciens camarades sont partants.

Après un jeu d'improvisations, ils choisissent de renverser les rôles: c'est Marie qui sera André Agassi, tandis que Sébastien Pouderoux, grand gaillard moustachu, campe sa première épouse, l'actrice Brooke Shields.

Le public suit, saisi par le rythme d'une pièce menée tambour battant, où on rit parfois et où on est ému, souvent.

«Que tout cela finisse»

Sur scène, une simple table et trois chaises, un paquet de Miel pops et deux bols: André a 7 ans, il parle tout seul, «parce que je suis effrayé et que je suis le seul à m'écouter».

André et son frère, déjà en tenue de tennis, tentent d'avaler leurs céréales avant que le père ne fasse irruption en hurlant. Il a fabriqué un «dragon cracheur de balles» : André va pouvoir frapper 2500 balles par jour. Le père a calculé qu'au bout d'une semaine cela ferait 17 500 balles, et 1 million au bout d'un an.

L'engrenage est lancé: André sera champion, quel qu'en soit le prix. Et le prix est exhorbitant: André a mal, tout le temps.

Marie, alias André, en short et t-shirt, le corps tendu, a les yeux fixes de l'enfant affolé, de l'adolescent rebelle, de l'homme épuisé qui souffle «que tout cela finisse», avant d'ajouter aussitôt: «Je ne suis pas prêt à ce que tout cela finisse».

C'est cette tension, cette incapacité «à régler le problème, pendant 30 ans», qui a poussé Marie Rémond à monter la pièce, estimant que «puisque j'y étais sensible, c'est quelque chose qui parlerait à tout le monde, et pas seulement en termes de tennis».

Pari réussi. Derrière l'histoire d'Agassi, c'est l'enfant massacré, l'ado mal dans sa peau, l'homme qui vit un mensonge qui émeuvent.

Qu'en pense Agassi? La star, rencontrée à Paris à son hôtel par Marie Rémond lors de Roland Garros, a gentiment écouté avant de s'engouffrer dans son taxi.

Son agent a dit «non» («Agassi a refusé en bloc tous les projets qui lui étaient soumis») alors que la pièce a déjà été montée au Théâtre Vidy-Lausanne, avant d'être présentée au «Off» d'Avignon, puis à Paris, avant une tournée de plusieurs mois en France et en Suisse.

Marie Rémond soupire: «C'est dommage, parce que j'aurais aimé lui dire que ça m'a parlé». Pause. «Et puis j'aimerais lui dire merci».