En 2009, le New York Times qualifiait Next to Normal de «feel-kind-of-bad musical». Vrai, un livret qui aborde la bipolarité et la dépression chronique... ce n'est pas exactement Hello Dolly ou La Mélodie du bonheur! En programmant une comédie musicale dont le sujet est la maladie mentale, Denise Filliatrault a pris un beau risque.

Or, ça marche comme musical! L'histoire, la musique, les chansons nous touchent droit au coeur. L'oeuvre a juste assez de sentimentalisme pour mettre un peu de baume sur cette chronique douce amère de la vie moderne.

Bienvenue chez les Goodman! Une famille presque normale d'une banlieue nord-américaine confortable. Une famille qui pourrait bien être la vôtre? Unie, aimante, résistante aux épreuves... comme on se sort la tête de l'eau pour ne pas se noyer.

Car les Goodman ont connu un traumatisme huit mois après leur mariage. Et la blessure ne cicatrise pas. Mais alors pas du tout! Au centre de ce drame, la maman, une maniaco-dépressive qui essaie de se soigner (Geneviève Charest, plus que convaincante). Sa fille, une ado, lui a donné le surnom de «personnalité Pfizer de l'année!», tellement elle se bourre de médicaments. Elle a essayé toutes les thérapies possibles... En vain.

La mère est prise dans «la spirale de l'anxiété et de la dépression, sans pouvoir lâcher prise»; (on voit que l'auteur, Brian Yorkey, est familier avec le jargon). Tout comme sa fille, son mari (Jean Maheux) veut l'aider. Son fils (Isabeau Proulx Lemire, touchant) voudrait bien l'aider... Mais ils sont démunis, «invisibles» ou malhabiles. Comme les dommages collatéraux de la maladie.

«Une vie presque normale» et une histoire triste? Pas seulement. Car tout est raconté sans pathos, ni lourdeur, avec beaucoup d'humour même. Le psy de la mère se prend pour une rock star (très bon Renaud Paradis); la fille musicienne fait penser à Lisa dans Six Feet Under, avec son bon sens de la répartie, son côté rebelle.

Elle est défendue par Véronique Claveau, une ex star-académicienne (en 2004), impressionnante de justesse et de vérité! Son chum (Benoît McGinnis) s'immisce dans cette famille poquée comme un travailleur social: patient, téméraire, empathique.

Passer sa vie à regarder le bonheur filer entre ses doigts, «est-ce que c'est ça, qu'on appelle une vie bien remplie?», pour paraphraser un autre personnage bipolaire, l'Albertine de Michel Tremblay. Toutefois, ici, le drame finit bien. Nous sommes dans un musical et il y a une belle lumière au bout du tunnel.

Malgré quelques ajustements sur le plan vocal, la distribution est excellente. Près de 90 pour cent du texte est chanté pendant qu'on joue la situation. Denise Filliatraut a reproduit, à petite échelle, la mise en scène de Broadway, avec deux niveaux et des îlots pour séparer les divers lieux et passer rapidement d'une scène à l'autre. Il y a quatre musiciens, cachés côté cour et jardin, qui exécutent la belle partition de Tom Kitt.

Pour peu, avec un plus gros budget de production et des interprètes qui auraient le luxe de roder un show pendant un an, cette Vie presque normale pourrait se dérouler à Broadway!

Au Théâtre du Rideau Vert, jusqu'au 16 juin.