Après Belles-Soeurs, le trio Bélanger, Cyr et Tremblay revient avec un nouvel opus adapté de Sainte Carmen de la Main, a appris La Presse. La musique de Daniel Bélanger et les chansons et l'adaptation de René Richard Cyr sont déjà complétées. C'est Maude Guérin qui interprétera la chanteuse western revenue au bercail pour éveiller les siens. Le spectacle comptera une vingtaine de comédiens, chanteurs et musiciens sur scène. Il prendra l'affiche du Théâtre du Nouveau Monde au printemps 2013.

Après les femmes de la rue Fabre, c'est donc au tour des travestis et des «guidounes» de l'ancien Red Light d'avoir droit à leur «théâtre musical». «On ne surfe pas sur le succès de Belles-Soeurs pour autant, souligne Cyr; c'est totalement autre chose, musicalement et esthétiquement. Daniel et moi, on voulait retravailler ensemble. On a aussi considéré des textes de divers auteurs... mais on revenait toujours à Michel Tremblay.»

Le metteur en scène connaît bien l'univers de ce dernier. Et Carmen est l'une de ses pièces préférées. «L'histoire est fabuleuse; le personnage, emblématique; la structure avec les choeurs, musicale. Carmen parle autant d'aliénation que de libération, de marginalité que d'espérance. À travers Carmen, Tremblay tend un miroir à des hommes et des femmes qui se trouvaient laids, minables, et là, ils se trouvent enfin beaux!»

Créée en 1976 chez Duceppe, la pièce a été peu reprise depuis au Québec. «Quand René Richard m'a parlé du projet pour la première fois, j'ai relu ma pièce afin de voir si elle avait mal vieilli, raconte Michel Tremblay. Au contraire, je suis convaincu que cet appel à la fierté et à l'éveil d'un peuple demeure pertinent. On a encore besoin de se faire brasser le Québécois!»

L'auteur donne en exemple l'assassinat de Carmen par Toothpick, et la récupération que le criminel en fait, à la fin, pour empêcher la faune de la Main de se libérer. «Ça a quelque chose de prémonitoire qui illustre une vérité universelle: lorsqu'un artiste, un politicien ou un militant se lève pour changer ou améliorer des choses, il se trouve toujours quelqu'un pour le salir, le descendre. Et revenir au statu quo. C'est le sort qu'a connu René Lévesque avant sa mort. Or, aujourd'hui, c'est un saint.»

Pour René Richard Cyr, quand Carmen dit que désormais elle «ne pourra plus jamais reculer», «c'est extraordinaire! Je ne sais pas si on recule actuellement au Québec, mais je ne pense pas qu'on avance ben fort...»

Dans la pièce, il y a aussi la revendication des gais et lesbiennes à l'avant-plan. Mais cela a évolué depuis 1976: «Ce serait plate de réduire la Main aux minorités sexuelles, croit le metteur en scène. Elle implique aussi une marginalité sociale et urbaine. Les alcooliques, les toxicomanes, les prostituées, les pauvres; tous ces gens sacrifiés sur l'autel de l'argent et de la rentabilité.»

Finalement, le boulevard Saint-Laurent a changé, transfiguré par la naissance du Quartier des spectacles. «La faune de la Main s'est déplacée dans le Village, dans Hochelaga-Maisonneuve; mais elle existe encore, conclut Cyr. Dans la jungle de nos villes, on aura toujours besoin de personnages comme Carmen.»