Parmi les programmes les plus ambitieux du Festival Bach, il y a ce chef-d'oeuvre de musique sacrée: l'incontournable Messe en si mineur (BWV 232) de Johann Sebastian Bach, exécutée par l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM) sous la direction de Kent Nagano, avec le Choeur de l'OSM mené par Andrew Megill et la participation de solistes de renom: Hélène Guilmette, soprano, Marie-Nicole Lemieux, mezzo-soprano, Julian Prégardien, ténor, Peter Harvey, baryton.

L'oeuvre

La Messe en si mineur fut achevée par Johann Sebastian Bach (1685-1750) au terme de son existence. Cette oeuvre synthèse est une des plus hautes cimes de la musique sacrée.

Sa conception reste mystérieuse, car «nous ne savons pour quelle occasion Bach l'aurait composée, ni quel patron aurait pu la commander, ni si l'oeuvre intégrale fut donnée en concert avant la mort du compositeur en 1750», indique Christoph Wolf, directeur des Archives Bach, cité dans les notes de programme de l'OSM.

«Plus que toute autre oeuvre de Bach, la Messe en si mineur représente la somme de son écriture pour la voix, non seulement par la variété des styles, des procédés compositionnels et de la palette sonore, mais aussi par le haut degré de polissage technique.»

«Je considère la Messe en si mineur comme l'une des pièces chorales les plus nourrissantes du répertoire classique, toutes époques et tous styles confondus. À mon sens, les deux oeuvres les plus importantes de Bach sont la Messe en si mineur et la Passion selon saint Matthieu», affirme le chef du Choeur de l'OSM, l'Américain Andrew Megill, également professeur à l'Université de l'Illinois.

«Pour cette Messe en si mineur, rappelle-t-il, Bach avait recyclé des éléments d'oeuvres antérieures, écrites à différentes périodes de sa vie. Clairement, c'était une pièce importante pour lui, même s'il n'en attendait pas la création. Avant tout, cette oeuvre était pour lui une offrande à Dieu et un legs de sa propre imagination.»

Bach, indique le chef de choeur, témoignait d'une vision chrétienne globale, et non strictement luthérienne, à travers la Messe en si mineur.

«Lui-même luthérien, il y intégrait des formes admises chez les catholiques, s'adressant ainsi à toutes les confessions chrétiennes, et c'est pourquoi cette Messe demeure si importante dans la société contemporaine. Les racines religieuses y sont chrétiennes et aussi universelles, du moins dans le contexte de sa conception.»

Une exécution moderne

«Durant la période baroque, fait observer Andrew Megill, si Bach avait exécuté cette oeuvre, il l'aurait fait avec 25 chanteurs environ et un orchestre de taille similaire. À partir du siècle suivant [le XIXe], les choeurs et les orchestres sont devenus beaucoup plus considérables ; pour exprimer le caractère monumental de l'oeuvre, on pouvait compter jusqu'à 300 chanteurs et des orchestres énormes, de manière à produire cet effet grandiose.»

Cette vision de la Messe en si mineur a longtemps prévalu. Or, dans les années 60, 70 et 80, d'autres concepts de l'exécution ont changé la donne, notamment la compression des choeurs et des orchestres.

«Ce fut une véritable révolution de la compréhension de l'oeuvre, en meilleure concordance avec les partitions et le texte originaux. Dans le cas de notre exécution, par exemple, nous nous trouvons dans un amphithéâtre de plus de 2000 sièges alors que la capacité des salles de l'époque baroque ne dépassait pas quelques centaines de places.»

Ainsi, le Choeur de l'OSM comptera 40 chanteurs, et l'orchestre comptera 45 instrumentistes.

«Nous nous adaptons à la vision actuelle de l'interprétation et souhaitons maintenir l'intimité de la performance tout en exprimant les nuances de l'oeuvre, sa clarté, sa transparence... ce qui est d'ailleurs typique de la direction de Kent Nagano», souligne Andrew Megill.

De fait, le maestro Nagano est très expérimenté dans l'exécution de la Messe en si mineur. Non seulement il la dirigera pour la troisième fois avec l'OSM, mais il l'a aussi jouée à maintes reprises, avec des ensembles réputés dont plusieurs spécialisés en musique baroque.

«J'en ai étudié plusieurs aspects de l'exécution, explique le maestro. Impossible de dire qu'on connaît parfaitement ce type de musique, même depuis cette révolution des années 70 et 80. Il y a encore plusieurs discussions en cours sur le contrepoint, l'articulation, le tempo... Bach n'avait pas laissé toutes les indications à ce titre, et il y a plusieurs manières d'envisager le jeu. Il y a encore place à la liberté et l'imagination.»

L'approche chorale selon Andrew Megill

Quant à la part vocale de l'oeuvre, Andrew Megill se montre très fier du Choeur de l'OSM.

«Il est extraordinaire, certes l'un des meilleurs en Amérique du Nord. Il génère un son splendide, et pour cause: chaque chanteur est accompli, ce qui contribue à la grande beauté du son d'ensemble. Qui plus est, ce choeur fait preuve de souplesse et de polyvalence, capable d'exprimer toutes les émotions. La palette des couleurs est très étendue.»

Puisque la plupart des choristes maîtrisent déjà l'oeuvre, Andrew Megill se réjouit de démarrer la préparation de l'exécution à un haut niveau, c'est-à-dire sans avoir à en rappeler les rudiments.

«Nous pouvons nous consacrer à la présentation d'une vision unifiée et équilibrée de la Messe en si mineur. Et il est encore plus important de préciser la transmission des émotions liées au texte. Certaines parties de cette pièce exigent une grande virtuosité vocale, et ce choeur y parvient sans problème, capable d'une communication profonde.»

Bach symphonique: pas toujours évident

Andrew Megill confie trouver souvent difficile l'écoute de la musique de Johann Sebastian Bach lorsqu'elle est jouée par des orchestres symphoniques. Il laisse ainsi entendre que ces grandes formations ne sont pas toujours capables d'en respecter l'esprit fondateur. Or...

«L'OSM le fait extrêmement bien! Cet orchestre a su s'approprier Bach, ce qui est souvent laborieux chez les grands ensembles à l'origine conçus pour la musique du XIXe siècle.»

«Bach joué par un orchestre symphonique, ce n'est pas toujours possible, mais ça l'est avec l'OSM, affirme Nagano à son tour. Car ses musiciens ont un esprit ouvert, ils sont prêts à l'exploration. Je n'y sens pas de fermeture aux idées nouvelles concernant les exécutions de Bach. Parmi les jeunes musiciens de l'orchestre, d'ailleurs, plusieurs ont travaillé dans des formations baroques, ils sont capables d'absorber très rapidement. D'autre parts, plusieurs spécialistes de Bach ont aussi dirigé l'OSM, il n'y a pas que moi ayant contribué à l'expertise. En répétition avec l'orchestre, on peut donc aller plus loin. Notre relation avec Johann Sebastian Bach s'en trouve renforcée.»

Pour un orchestre symphonique, conclut Kent Nagano en toute humilité, jouer Bach représente toujours un énorme défi.

«Mais il faut y parvenir, puisque sa musique constitue la base de notre langage, de notre sémantique. Il avait écrit des musiques parfaites et fut lui-même un grand pédagogue, il est donc naturel pour nous, musiciens, de commencer avec lui... et de poursuivre avec lui. Si on veut parler couramment cette langue de Bach, il faut la pratiquer régulièrement. Pour notre bénéfice et celui des prochaines générations.»

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À la Maison symphonique, le mardi 4 et le mercredi 5 décembre, 19 h 30.