Le label québécois Analekta a lancé cette semaine deux albums de l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM), essentiellement consacrés au compositeur français Camille Saint-Saëns (1835-1921).

Le premier comprend l'enregistrement devant public de la Symphonie no 3 en do mineur op. 78 de Saint-Saëns, jouée en mai 2014 lors des concerts inauguraux du Grand Orgue Pierre-Béique à la Maison symphonique de Montréal. S'ajoutent au programme deux oeuvres récentes pour orgue et orchestre, composées par Samy Moussa et Kaija Saariaho, impliquant les organistes Olivier Latry et Jean-Willy Kunz.

Le deuxième album propose l'intégrale des concertos pour violon de Saint-Saëns et met en relief le talent du soliste albertain Andrew Wan, violon solo de l'OSM depuis 2008. L'exécution de ces concertos fut aussi enregistrée en concert, soit les 26, 27 et 29 novembre 2014.

Maestro Kent Nagano convient que la sortie simultanée de ces deux albums «a toutes les apparences d'une grande offensive Saint-Saëns» de la part de l'OSM. Pour mener à bien cette opération d'envergure, le chef d'orchestre a consulté la musicologue montréalaise Sabina Ratner, réputée mondialement pour sa connaissance de l'oeuvre du compositeur français.

«Nous avons discuté en profondeur du rôle de Saint-Saëns, de ce qui est unique dans son oeuvre. Il faut dire que ça ne faisait pas partie de mon répertoire personnel et il faut dire aussi que ce compositeur est beaucoup étudié par les musicologues. De plus, il semble soulever un nouvel intérêt chez les performers de la jeune génération.

«Le docteur Ratner m'a expliqué que l'oeuvre de Camille Saint-Saëns reste une sorte d'énigme. Il a composé plusieurs chefs-d'oeuvre, mais, si on les examine vraiment, on a du mal à déterminer s'ils ont le même style et le même langage. Les concertos pour violon, par exemple, sont vraiment distincts les uns des autres.»

Fier de Montréal

Kent Nagano a dit être «fier de Montréal, du Québec et de l'OSM» parce que le rêve initial était de faire une salle de concert avec un grand orgue. «Pour plusieurs raisons, nous n'avons pu faire l'ouverture de la Maison symphonique avec le Grand Orgue Pierre-Béique. Nous nous étions alors promis que nous parviendrions à l'installer, ce que nous avons réussi au bout de quelques années grâce à un grand cadeau de Mme [Jacqueline] Desmarais et un effort énorme fourni par la Ville de Montréal, l'OSM et toute la communauté. Ainsi, nous avons voulu capter ce moment historique où nous avons réalisé le grand rêve.»

Nagano a souligné les avantages d'un enregistrement devant public: «De plus en plus, j'ai tendance à aller vers le live, car un performer joue toujours différemment en concert. On est plus libre, on prend plus de risque, le sens de la musicalité organique et la souplesse s'en trouvent élevés.»

«Aujourd'hui, les orchestres sont capables de faire des choses qu'on n'aurait jamais cru possibles il y a 40 ou 50 ans. Et puisqu'on arrive à faire des choses techniquement parfaites, il faut quelque chose de plus. Ce côté humanité.»

Et qu'est-ce qui distingue l'exécution de l'OSM, dans le cas qui nous occupe?

«Nous pouvons compter sur un orgue extraordinaire et sur l'esthétique de notre orchestre; sa transparence, son agilité et sa clarté aident énormément l'auditeur à comprendre l'oeuvre et le génie de Saint-Saëns...»

En ce qui a trait au deuxième album lancé cette semaine, maestro Nagano a tenu à féliciter Andrew Wan pour son «formidable accomplissement».

«Le projet de jouer les trois concertos pour violon de Saint-Saëns représente un défi presque surhumain. Or, Andrew Wan est un artiste assez spécial, étant à la fois premier violon de l'orchestre, mais aussi un chambriste et un soliste. Je lui ai proposé de mener les trois tâches et il accepté en souhaitant ne pas le regretter [rires].»

Attablé près du maestro lors d'un déjeuner de presse mercredi, le violoniste a souligné que cet album résultait d'un long processus, soit plus d'un an de préparation afin de bien saisir les enjeux de ces interprétations et d'en maîtriser l'exécution: «Pour ce faire, plusieurs discussions avec maestro Nagano ont été nécessaires. Saint-Saëns est un compositeur négligé et c'est dommage, car sa musique se déploie de manière logique et organique à la fois. Dans sa musique, les rôles sont bien délimités, les instruments, bien définis. On sait toujours où on se trouve dans le récit.»

«C'est comme un repas exquis dans un grand restaurant: on y reconnaît que chaque ingrédient est extrêmement important dans le produit final.»

Afin de peaufiner son approche, Andrew Wan a travaillé pendant deux jours avec le célèbre violoniste français Jean-Jacques Kantorow.

«Il est devenu un mentor et un ami, bien que nos interprétations de ces concertos soient très différentes. Il m'a aidé à en comprendre le message, le contenu, les standards et non les règles... Nous n'avons pas la même opinion sur l'interprétation, mais nos discussions ont renforcé mes décisions. Et puisque personne ne veut écouter le même album d'une même oeuvre...»

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CLASSIQUE. OSM/Kent Nagano/Olivier Latry/Jean-Willy Kunz. Symphonie et créations pour orgue et orchestre. Analekta.

CLASSIQUE. Andrew Wan/OSM/Kent Nagano. Intégrale des concertos pour violon de Saint-Saëns. Analekta.