La déception est totale : elle occupe l'avant-entracte et elle occupe l'après-entracte. Elle occupe jusqu'à l'avant-concert puisque le chef qu'on avait hâte de retrouver, le coloré et controversé Emmanuel Krivine, s'est décommandé. Une mauvaise chute, paraît-il. L'OSM le remplace par Yan Pascal Tortelier, qui dirigeait ici il y a quelques jours et se trouvait encore dans les parages.

D'une taille démesurée et surplombant tout l'orchestre comme du haut d'un balcon, le visiteur de 68 ans a repris le programme original, à une exception près: la pièce de Humperdinck (nom allemand que la voix au micro prononce à l'anglaise, comme s'il s'agissait du populaire chanteur britannique!) est remplacée par l'ouverture Le Corsaire de Berlioz.

Le morceau à effet colle à la peau de l'OSM, principalement grâce à qui on sait : Charles Dutoit. Mais, alors que le geste magique et aérien de Dutoit transfigurait les formules crues et faciles de Berlioz en instants de pure poésie, l'homme qui s'agite devant nous comme si sa vie en dépendait ramène le tout au niveau le plus ordinaire, celui de gros et tapageur morceau pour fanfare.

Vient ensuite le Concerto pour violon de Korngold (et non «un concerto», comme on a pu le lire dans une légende de photo ajoutée à ma chronique de mardi). Le choix était original : le Korngold n'a été joué que trois fois à l'OSM, alors qu'on revient sans cesse aux Beethoven, Mendelssohn, Brahms et Tchaïkovsky. La soliste, la jeune Norvégienne Vilde Frang, nous avait donné un inoubliable Bruch en 2013. Cette fois, rien, ou à peu près.

La technique est sans faille et le reste jusqu'au terrifiant finale. Fort bien. Mais ce produit d'un musicien de cinéma est davantage qu'un exercice violonistique. Jascha Heifetz, créateur de l'oeuvre (en 1947) et premier à l'enregistrer (en 1953), y apporte une réelle émotion et laisse même s'y glisser un peu de sentimentalité, lui qu'on accusait de froideur. L'effet est des plus séduisants. Tout au contraire, la jeune Norvégienne traverse ces 26 minutes avec une application frigide, distante et inébranlable, comme si elle ne prenait aucun plaisir à jouer cette musique. Chose certaine, nous n'en prenons pas non plus à l'écouter.

Le pire était à venir. Le pire, c'est-à-dire la Symphonie de Franck. Pourtant une si belle oeuvre! En soi, le «numéro de chef» est réussi : M. Tortelier dirige son Franck de mémoire, comme plus tôt son Berlioz, et avec des gestes très larges et très nombreux qui semblent très importants. Mais les musiciens répondent indifféremment, machinalement, comme s'ils avaient l'esprit ailleurs. L'OSM au grand complet fonctionne avec son habituelle et totale virtuosité, mais l'interprétation comme telle est pour ainsi dire inexistante parce qu'il n'y a pas d'interprète aux commandes. En tout cas, pas l'interprète qu'il faudrait. Surtout pour cette partition quasi mystique, création d'un organiste d'église, soudain devenue méconnaissable parce qu'abordée sans nuance, poussée à plein volume et scandaleusement travestie en quelque assourdissante fresque symphonique de Respighi.

ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL. Chef invité : Yan Pascal Tortelier. Soliste : Vilde Frang, violoniste. Mardi soir, Maison symphonique; reprise jeudi, 20 h. Séries «Grands concerts».

Programme:

Le Corsaire, ouverture de concert, op. 21 (1845) - Berlioz

• Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, op. 35 (1947) - Korngold

• Symphonie en ré mineur (1889) - Franck