On se serait cru en plein film italien. Dehors, à l'angolo Saint-Laurent/Saint-Zotique, au coeur de la Petite Italie et face à une grosse et magnifique église, comme celle de Cavalleria rusticana, une scène de fortune a été installée pour recevoir la «grande finale» de la 21e Semaine italienne, c'est-à-dire, selon la tradition, un opéra.

Cette année, c'est Madama Butterfly. Partout, dans la rue fermée à la circulation, des chaises pliantes. Il y en a quelque 1500 et elles sont vite prises d'assaut. Partout aussi, dans le petit parc à côté, des gens debout. Malgré le froid, c'est «salle comble».

Avant le spectacle, qui va débuter à 21 h, de mauvais haut-parleurs déversent un flot de chansons napolitaines. Je demande qui chante. Un préposé répond: «J'sais pas. C'est d'l'opéra!» Les notables du coin font leur entrée et serrent des mains. On est prêt à commencer, comme dans Pagliacci. En trois langues, un animateur et une animatrice viennent annoncer «trois prix supaïrs à gagner», dont un voyage en Italie, prient ensuite «Madame Saputo de se lever» et concluent: «C'est pas souvent qu'on a accès à un opéra gratuit!»

La petite scène s'illumine bientôt et, au-dessus de la scène, un écran géant isole en gros plans ce qui se passe au-dessous. Voix et orchestre sont amplifiés, mais le son reste, dans l'ensemble, acceptable.

Pour des raisons évidentes, on a «adapté» le célèbre opéra de Puccini. Quelques personnages secondaires ont été éliminés et, par le fait même, la partition a été amputée de plusieurs pages. Toute l'action se déroule à l'intérieur de la modeste maison de Cio-Cio-San, la pauvre «Butterfly» du titre, abandonnée avec son enfant par l'officier américain Pinkerton. Le choeur a été ramené à quatre femmes vêtues de rouge et l'orchestre, à une trentaine de musiciens. On parle néanmoins de l'«Orchestre Symphonique de la Semaine italienne de Montréal». Sans entracte, le tout fait un peu moins de deux heures. Mais l'essentiel y est.

Salvatore Sciascia, un ancien chanteur local promu metteur en scène et décorateur de cette Butterfly, y va même d'une innovation: devenue Madame Pinkerton, Cio-Cio San délaisse son kimono pour le deux-pièces d'une Américaine. Elle reprendra cependant son costume japonais pour la scène finale du hara-kiri.

Caroline Bleau donne au rôle-titre une impressionnante dimension vocale et dramatique. Mises à part quelques notes forcées à l'aigu, la voix reste toujours richement timbrée; le phrasé est naturel, le jeu est émouvant et soutenu. La jeune chanteuse tenait un petit rôle dans une Butterfly de 2008 à l'Opéra de Montréal. Elle a certes beaucoup évolué depuis.

Cette production passée, mettant en vedette Hiromi Omura, avait aussi bénéficié du plein air puisque l'une des représentations avait été projetée sur l'esplanade de la PdA. Alexandre Sylvestre y tenait lui aussi un petit rôle. Cette fois, il passe au personnage plus important de Sharpless, le consul américain chargé d'annoncer à Cio-Cio-San la mauvaise nouvelle. Sylvestre joue et chante en professionnel. Mais sa voix est trop grave pour le rôle et son interprétation manque de chaleur.

Le spectacle nous vaut une petite révélation: Adam Luther, ténor inconnu, originaire de Terre-Neuve, qui projette une voix belle, puissante et juste et apporte intensité et intelligence au personnage de Pinkerton. Geneviève Lévesque, Geoffroy Salvas et les autres complètent bien la distribution.

À la direction musicale, Gianluca Martinenghi, obscur chef venu d'Italie pour l'occasion, dirige orchestre et chanteurs avec toute l'autorité souhaitée.

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MADAMA BUTTERFLY, opéra en trois actes, livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d'après le drame de David Belasco, musique de Giacomo Puccini (1904). Hier soir, Scène Loto-Québec, dans le cadre de la 21e Semaine italienne de Montréal.