L’inoubliable interprète de Young Hearts Run Free, Candi Staton, sera à Montréal pour la première fois depuis 1977… et sans doute pour la dernière fois. Entretien soul.

Candi Staton se souviendra toujours du 15 septembre 1963.

La chanteuse, alors âgée de 23 ans, était en visite à Birmingham pour la messe dominicale quand l’horreur s’est manifestée. À quelques rues de là, une église baptiste venait d’être attaquée par des membres du Ku Klux Klan. Spectaculaire explosion de 19 bâtons de dynamite tuant quatre jeunes filles et faisant des douzaines de blessés.

« Ce fut notre dimanche sanglant », lance Mme Staton, qui sera en spectacle le 29 septembre au Rialto dans le cadre du festival Pop Montréal. « Les émeutes ont commencé dans la rue. J’étais avec mes deux garçons. C’est devenu trop dangereux. Il a fallu quitter la ville. »

Pendant 60 ans, la chanteuse soul a conservé cet épisode marquant dans un recoin de sa tête. Mais elle vient tout juste de lui redonner vie dans une nouvelle chanson, 1963, où elle raconte la tragédie dans le détail.

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Je crois que le Seigneur voulait que je raconte cette histoire à un moment donné. Ça m’est revenu comme si c’était hier. J’ai pleuré tout le long en l’enregistrant.

Candi Staton, au sujet du 15 septembre 1963

Le morceau, à la limite du documentaire, contraste avec l’apparente insouciance des chansons qui ont fait la réputation de Candi Staton. Chanteuse soul, puis disco, puis pop, puis gospel, l’inoubliable interprète de Young Hearts Run Free (1976) est plus volontiers associée aux planchers de danse qu’à la chanson engagée. Mais cette image – forcément réductrice – n’est qu’une facette d’une œuvre assez profonde, qui compte une trentaine d’albums en 70 ans de carrière.

« Courez, soyez libres »

Née en Alabama en 1940, en pleine période ségrégationniste, Candi Staton prend son envol comme chanteuse gospel dans les églises. Au milieu des années 1950, elle enregistre pour de petits labels et tourne dans le Deep South américain avec les vedettes de l’heure comme The Soul Stirrers et Mahalia Jackson. Sa voix âpre l’amène d’instinct vers la soul music et elle enregistre son premier album solo en 1969 avant de connaître un tube soul-disco international en 1976 avec Young Hearts Run Free, une chanson sur la relation difficile qu’elle vit à l’époque.

« Young Hearts était inspiré de mon couple, dit-elle. Je voulais le quitter, mais il me menaçait. J’avais peur de lui en permanence. C’était l’histoire de ma vie. Cette chanson était un conseil pour les jeunes. Je leur disais : courez, soyez libres, ne faites pas comme moi ! »

Young Hearts Run Free connaît par ailleurs une seconde vie en 1997, grâce à un remix house de la chanteuse Kym Mazelle. Cette version remet Candi Staton au goût du jour, tout comme les reprises successives de la chanson You Got the Love par The Source (1997) et Florence and the Machine (2009).

Ces succès, du reste, contrastent avec une vie personnelle passablement compliquée. Entre déboires conjugaux, maris abusifs, divorces à répétition (cinq !) et vie de mère seule, Mme Staton peut en effet se vanter d’en avoir bavé. Mais elle ne s’en plaint pas. Car ce sont les souffrances, dit-elle, qui font les meilleures chanteuses soul.

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Pour la première fois depuis 1977

Candi Staton ne cache pas, non plus, avoir été flouée sur le plan professionnel, alors que des maisons de disques se sont enrichies sur son dos.

« Aux jeunes qui me demandent conseil, je dis toujours : lisez bien le contrat ! Les trois premières pages, ils vous donnent tout. Les trois pages suivantes, ils reprennent tout ! Personnellement, ça m’a pris des années avant de pouvoir repayer Warner [sa maison de disques entre 1974 et 1980]. »

PHOTO FOURNIE PAR POP MONTRÉAL

Candi Staton, en 1976

Les balades en limousine, le Dom Perignon, toutes ces fêtes qu’ils organisaient : je ne réalisais pas au départ que c’est moi qui payais pour tout ça. À la fin, je leur devais des centaines de milliers de dollars et je ne le savais pas…

Candi Staton, au sujet de la maison de disques Warner

La chanteuse finira par se défaire de ce mauvais contrat avec l’aide précieuse d’un avocat. Mais elle regrette d’avoir galéré autant pour rembourser ses dettes et ne nie pas avoir prolongé sa carrière sur scène pour pouvoir les honorer.

À ce sujet, elle est formelle, il s’agira bien de sa dernière tournée. « Je vais avoir 84 ans. Il est temps, je ne veux pas mourir sur la route », dit celle qui n’a qu’une hâte : passer le reste de sa vie avec ses enfants, ses petits-enfants et ses arrière-petits-enfants.

OK, mais pas sans une dernière visite à Montréal où, incidemment, la chanteuse n’est pas venue depuis 1977, en pleine gloire disco. Une éternité, mais elle s’en souvient comme si c’était hier.

« Après le concert, cette jeune fille est venue me voir dans ma loge. Elle a mis sa tête sur mes genoux et m’a dit merci pour Young Hearts Run Free. Elle m’a dit que ça l’avait libérée et empêchée de s’engager avec le mauvais garçon… Je me demande ce qu’elle est devenue. Ce serait bien qu’elle vienne me revoir vendredi, après le concert… »

Candi Staton, Janette King et ThatHonestGuy, vendredi 29 septembre, à 20 h, au Théâtre Rialto

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