Avec son folk-rock rugueux et sa voix pleine de grenailles, le chanteur Matiu, originaire de Maliotenam sur la Côte-Nord, parle avec honnêteté des hauts et des bas de la vie dans la réserve. Chanté en français et en innu, Petikat est un premier disque qui brasse.

En langue innue, petikat signifie lentement, tranquillement. «Ça illustre bien mon parcours, tranquillement, mais sûrement, sans rusher les affaires», dit Matiu - de son nom officiel Matthew Vachon -, rencontré à Montréal lors du lancement de son disque dans le cadre de Coup de coeur francophone.

L'auteur-compositeur-interprète de 32 ans a sorti un premier EP en 2017 et était le participant mystère du disque hommage à Desjardins - celui qui chantait Le bon gars, dont le nom ne nous disait rien, mais dont la voix avait réussi à s'imposer. À «Malio», Matiu élève une petite fille pendant que sa blonde est aux études, et travaille comme menuisier. Mais sa carrière est «en cours de réorientation».

«Mon chemin se fait naturellement, au jour le jour. Ce n'était pas mon rêve premier de faire de la musique. C'est venu d'un besoin d'extérioriser des émotions, à la place de mettre le feu à la ville.»

Il rit, puis explique. «J'avais des choses à dire. Il faut que je profite de ces trois minutes où j'ai un micro pour essayer de réveiller les mentalités un peu. Créer une discussion, au moins.»

L'Innu qui se fait tasser de son mode de vie et qui est écartelé entre la tradition et la modernité, c'est pas mal ce qui interpelle Matiu, qui se définit comme un «Indien 2.0». «J'ai dit ça quand j'ai commencé, parce qu'il faut se catégoriser. Ma génération se cherche et est tiraillée. On voudrait tous revenir dans le mode traditionnel, mais le temps moderne nous rattrape. On est mêlés, ça n'a pas de bon sens.»

Partir ou rester

Petikat parle de sa quête identitaire, mais en aucun cas Matiu ne se veut le porte-parole de sa communauté, ou pire encore, des autochtones en général. «C'est mon histoire, mon constat», dit-il, espérant tout de même être une sorte d'exemple et en «réveiller une couple». Il est d'ailleurs convaincu que malgré tous les déchirements de la jeunesse innue, la solution n'est pas de quitter la réserve.

«Il y a ce discours: câlissez votre camp, y'aura jamais rien là pour vous autres! Mais si tout le monde s'en va, ils vont avoir réussi ce qu'ils voulaient, on va être tout éparpillés dans les villes, pis on ne pourra plus revenir où on était ensemble. Par contre, partir pour mieux revenir, oui. Va bâtir, te former, et revient nous aider.»



C'est que la vie à Maliotenam n'est pas que négative, dit Matiu, qui se préoccupe pas mal plus de la survie de sa langue que d'appropriation culturelle. «Je comprends l'enjeu, mais il y a des affaires pas mal plus urgentes!», dit-il - c'est pour cette raison que toutes ses chansons ont été traduites dans le livret, autant de l'innu au français que le contraire.

Dans sa vision très décomplexée, il déplore qu'on ne puisse plus «rien dire» aux autochtones. «Même le mot "Indien"! Moi, je préfère ça à autochtone. Sinon appelle-moi Innu! Mon grand-père disait ça: "Je suis un Indien, c'est à moi le Canada." J'aime cette image de l'Indien fier, qui se tient droit et qui impose le respect, j'aimerais qu'on la retrouve et qu'on arrête d'être des victimes.»

Fils de Kashtin

Matiu se considère un peu comme l'héritier de Florent Vollant, autre célèbre artiste originaire de Maliotenam. Mais tous les jeunes Innus qui ont grandi pendant les années 90 sont «les enfants de Kashtin», ajoute-t-il. «On avait tous notre foulard rouge ! Ils ont ouvert la voie, ils ont montré que c'était possible. Mais l'univers de Florent et le mien, c'est deux choses.»

Le son de Petikat est en effet beaucoup plus brut que celui de Kashtin, très pop, ou de l'ambiance tout en douceur de Florent Vollant en solo. Matiu affirme qu'il pratique un folk bipolaire, «qui part dans toutes les directions». «Il y a du folk, du blues, du country, de l'hawaiien... Ce sont des styles que j'assume et que j'aime. J'avais envie de faire un album comme on écoute notre musique maintenant. Ça arrive encore qu'on écoute un album de A à Z, mais c'est souvent plus aléatoire. Je trouvais ça l'fun de mettre différentes couleurs, liées par les thèmes... et ma voix rugueuse!»

Quand on lui demande le secret de cette voix, il rigole. «Beaucoup de bière et de fumée!» Les partys qu'il décrit dans ses textes sont en effet épiques. C'est clair, on ne doit pas s'ennuyer avec eux. «On dit bien des niaiseries, on joue de la guitare et on chante», dit-il, expliquant qu'il existe toute une culture musicale dans les réserves. Les gens passent leurs soirées à chanter des classiques innus, qui ne sortent jamais de cette frontière invisible.

«Il y a de vraies vedettes, qui jouent à la radio communautaire et qui sont souvent financées par le conseil de bande. J'ai un ami, il s'appelle Scott-Pien Picard, il a 120 000 views sur YouTube avec une de ses chansons, c'est une star!»

Matiu lance son disque épaulé par une maison établie - 117 Records - et se trouve bien chanceux. «Je n'arrive pas à croire que tout ça arrive! Je faisais juste gratter ma guitare...» Il s'adresse à tout le monde, jeunes et vieux, gens de la ville et gens des régions. «Mon public cible, c'est l'être humain.» Et pour la suite, il n'est pas pressé: il y va petikat. «C'est ça. On verra ce qui arrive.»

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FOLK-ROCK. Petikat. Matiu. 117 Records.

Image fournie par 117 Records

Petikat